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POLICE SOUS VICHY

Après soixante-dix ans de démocratie parlementaire, un régime autoritaire et antidémocratique s'installe en France en juillet 1940, à la suite de la défaite militaire, dans un pays aux trois cinquièmes occupé. Les quatre années qui vont suivre représentent un moment essentiel dans l'histoire de la police française. D'une part, la dérive des missions et des pratiques qu'ont connue tous les services traduit le naufrage de la police républicaine que la IIIe République avait tenté d'édifier. D'autre part, la période marque la naissance d'une image noire – la « police de Vichy » – qui a d'autant mieux prospéré que, trop longtemps, l'institution n'a pas su affronter ce passé avec lucidité et transparence. Les gardiens de la paix des rafles parisiennes, les brigades spéciales, les Groupes mobiles de réserve sont allés rejoindre dans l'enfer de la mémoire policière les gendarmes des camps du Loiret et de Drancy, des trains de déportation et des pelotons d'exécution des cours martiales, alors même que l'institution, souvent en présence des plus hautes instances de l'État, célébrait chaque année, sans une allusion aux besognes accomplies pendant ces quatre années, l'héroïque soulèvement de la police parisienne du 19 au 25 août 1944.

Dans le même temps, ces quatre années ont vu une réorganisation profonde qui a posé les bases de la police contemporaine : l'étatisation des polices municipales, la création d'une police nationale, d'écoles de police, d'une force civile de maintien de l'ordre et la discrète et timide entrée des femmes dans la police.

Une police prise au piège

L'existence d'un gouvernement légal, les clauses de l'armistice qui confèrent aux Allemands « tous les droits de la puissance occupante », la politique de collaboration mise en œuvre par le gouvernement de Vichy pour se concilier les bonnes grâces du vainqueur et une place dans un ordre européen qu'on imagine durablement dominé par l'Allemagne valent à la France un statut unique parmi les pays vaincus. Elles expliquent la situation inédite, inconfortable et ambiguë d'une police devenue un instrument au service d'un régime autoritaire, antidémocratique, porteur d'un projet idéologique liberticide, répressif, discriminatoire et xénophobe, un symbole et un enjeu permanent pour un État français privé de la plupart de ses outils régaliens (diplomatie, armée...) et avant tout soucieux de faire reconnaître sa souveraineté sur la totalité du territoire. Pendant ces quatre années, « la » police incarne la partie la plus visible de la collaboration d'État avec un occupant qui, lui, n'a d'autre but que d'user et d'abuser – ce que lui permettent, dans la zone occupée, les clauses de l'armistice – de policiers (et gendarmes) réduits au rôle de supplétifs indigènes.

Pris au piège de la légitimité de Vichy, de sa propre culture d'obéissance, de la discipline, des ordres d'un cadre respecté souvent issu de la IIIe République, mais aussi de son propre goût de l'ordre, de ses intérêts corporatifs et d'une culture professionnelle qui lui fait partager des aversions communes avec ses nouveaux maîtres, le monde policier, profondément renouvelé par le recrutement massif de « jeunes gens sains et sans attaches politiques » que les campagnes d'affichage tentent d'attirer vers un « corps d'élite », va être confronté à des expériences inédites, notamment la perte du monopole de la violence légitime du fait de la concurrence des services répressifs allemands et des officines parapolicières que le gouvernement de Vichy a mises en place dès l'automne de 1940.

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Pour citer cet article

Jean-Marc BERLIÈRE. POLICE SOUS VICHY [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

École nationale supérieure de la police, Saint-Cyr-au-Mont-d'Or (Rhône) - crédits : F. Catérini/ Inediz

École nationale supérieure de la police, Saint-Cyr-au-Mont-d'Or (Rhône)

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