PAGAN

La ville de Pagan commande le passage entre les plaines de Kyaukse et de Mingu, les deux seuls bassins de l' Irrawaddy avant son delta. Elle se trouve à 210 de latitude nord, mais à l'intérieur des terres et à l'ombre des hauteurs de l'Arakan, qui arrêtent une partie de la mousson du sud-ouest. Il y tombe à peine 0,60 m d'eau par an ; on l'appelle le Tattadesa, le « Pays brûlant ». L'irrigation y a pourtant très tôt créé un véritable grenier, le Ledwin, le « Pays du riz ». Pagan est équidistante des deux bras du fer à cheval de montagnes qui enserre la Birmanie, d'où, de tous temps, ont dévalé les envahisseurs. L'Irrawaddy, incomparable chemin d'eau, relie la ville à la mer, à la civilisation.

Nulle prédestination géographique, nulle nécessité géopolitique n'expliquent pourtant sa destinée, mais bien plutôt la volonté des hommes, ou les hasards de leurs destins. Les Pyu de langue tibéto-birmane ont civilisé la vallée du fleuve où subsistent, de Halin à Prome, leurs antiques cités. Les Birmans proprement dits vinrent les y rejoindre et se fondre avec eux.

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Pagan se dresse sur un promontoire. Sa vaste enceinte quadrangulaire de 1 200 m de côté – l'angle nord-ouest est rongé par le fleuve – aurait été dressée dès 849. C'est à Anawrahta (1044-1077) qu'elle dut son essor. Ce roi guerrier soumit les Mōn de Thatön et même ceux du Ménam, jusqu'au Haripuñjaya et à l'Arakan, peuplé d'un rameau pyu. Converti au bouddhisme des Thera par le Mōn Shin Arahan, il en fit la religion officielle, le pāli et le mōn devenant ainsi les langues de culture. Kyanzittha (1084-1113) consolida la tutelle birmane : rien ne le montre mieux que l'inscription du Myazedi (vers 1113) rédigée en quatre langues : le pāli, le mōn, le pyu et le birman qui était ici écrit pour la première fois. Alaungsithu (1113-1155 env.) poursuivit l'édification de sanctuaires de plus en plus colossaux, de même que Narapatisithu (1174-1211), qui veilla à une réforme du bouddhisme selon les règles de la secte cinghalaise du Mahāvihāra. Sous Nantaungmya (1211-1230), le pouvoir s'affaiblit, à la suite des importantes dépenses de construction et des querelles de sectes. Sous la pression des raids mongols (1271-1288), les rois abandonnent Pagan entre 1298 et 1312. C'est la fin de trois siècles d'or, qui avaient créé l'unité et la puissance de la Birmanie et formulé son art, avec un éclat insurpassé depuis.

1000 à 1100. Seldjoukides - crédits : Encyclopædia Universalis France

1000 à 1100. Seldjoukides

Temples de Pagan, Birmanie - crédits : Jerry Alexander/ Photodisc/ Getty Images

Temples de Pagan, Birmanie

Le creuset de l'art birman

On se reportera à l'article birmanie-Arts et Archéologie qui analyse l'évolution des arts de Pagan. Il convient ici de montrer les fondements de cet épanouissement. Une histoire détaillée de la ville est impossible. La chronologie exacte des édifices n'est pas établie avec suffisamment de détails pour permettre de tracer les contours successifs de la cité. De la maison paysanne au palais, en passant par les bâtiments monastiques, l'habitat était en bois et a disparu. Seuls subsistent temples et stūpa, qui étaient édifiés en brique. Nous ne connaissons pas davantage les systèmes d'irrigation, à tout le moins les adductions d'eau nécessaires à l'usage d'une énorme population. Mais on en a reconnu les vestiges. Par des inscriptions sur les briques des temples et des stūpa, on a identifié les villages, échelonnés tout au long de l'Irrawaddy, qui les ont donc fabriquées, soit à titre de corvée, soit pour participer volontairement à ces œuvres pies. Il est probable que ces villages ont également nourri la ville.

On constate que les premiers temples ont été bâtis au xie siècle dans l'antique cité fortifiée, débordant de ses limites au nord, et surtout au sud, mais toujours exactement sur la berge du fleuve. Plus tard, on glissera vers l'est et vers l'intérieur des terres, sans dépasser, au nord et au sud, les deux principaux affluents de l'Irrawaddy qui encadrent le promontoire primitif. Les stūpa semblent avoir été surtout commémoratifs : ici on a débarqué telle relique du Bouddha, là aurait péri tel roi ; on ne peut les intégrer dans une organisation urbaine systématique. Faute de connaître les palais royaux ou princiers, les quartiers d'artisans ou les villages, nous ne pouvons identifier les monastères, et donc saisir la distribution des temples. On admirera seulement le sens de l'espace. Le pays est plat, le ciel presque toujours bleu. De chaque temple, au-dessus des palmes qui évoquent les toits de jadis, on découvre à l'horizon tous les autres monuments. À l'étiage, le fleuve est bordé de véritables falaises interrompues par les cañons de ses affluents. Comme en équilibre au-dessus des eaux, les stūpa semblent être les amers de la grande cité. Creusées dans les flancs des cañons, des grottes rappellent les ermites de jadis. À l'écart, dans ce qui fut autrefois la forêt, un temple perdu évoque les sectes mystiques qui vivaient en marge de la société.

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La variété des temples de Pagan s'explique par le caractère de creuset que revêtait la cité. Tout d'abord Pagan vit, sous l'égide des Birmans, la fusion des cultures antérieures : Pyu du Śrīkṣetra et d'Arakan, Mōn du Ramaññadeśa, Thaï même des montagnes du nord-est. On y sent en outre le poids de la Chine toute proche. Dès l'Antiquité, les Pyu avaient enseigné le Mahāyāna au Yun-nan, alors royaume de Nan-Tchao. En retour, la Birmanie recevra, notamment, la technique des pierres dures, de la laque (les premières statues en laque sèche apparaissent sous Kyanzittha, et on a déterré des objets en laque datés de 1274), de la céramique, notamment les briques et les reliefs en terre cuite émaillée. Développée par les Pyu, l'architecture en brique, remarquablement audacieuse grâce à l'emploi de la plate-bande et de l'arc à claveaux, vient probablement de Chine, même si l'influence du Bengale s'avère certaine. À travers les Mōn, les relations avec le Bengale (qui touche l'Arakan), l'Orissa, l'Andhra et Ceylan furent d'autant plus développées qu'elles étaient source de prospérité économique. Shin Arahan ira dès 1160 à Ceylan, dont le roi enverra une « dent » du Bouddha, somptueusement enchâssée dans le Shwezigon. Kyanzittha fera restaurer le temple de Bodhgāyā, dont Nantaungmya (1211-1230) dressera une réplique à Pagan : le Mahabodhi. Des moines indiens décriront au roi Kyanzittha leur temple (Paharpur, peut-être ?) et celui-ci cherchera à le reproduire avec l'Ananda. Le moine Chapaṭa introduira à Pagan, en 1190, l'orthodoxie singhalaise, dont les stūpa et les peintures seront dès lors imités ; on peut multiplier ces exemples à l'infini. Au milieu du xie siècle, les Birmans viendront au contact direct des Khmers dans le delta de la Ménam. On soupçonne une influence du temple-montagne angkorien dans la conception, nouvelle à Pagan, du Thatbyinnyu (entre 1113 et 1150). Une imitation évidente du décor khmer se décèle sur le Mingalazedi (env. 1284). Au début du xiiie siècle, le Payathonzu reproduit les temples bouddhiques de Jayavarman VII.

Le nombre et le gigantisme des temples royaux de Pagan s'explique, certes, par l'ambition et l'opulence des souverains, mais aussi bien par leur désir d'assurer la prospérité générale. Le roi se lance dans les conquêtes pour étendre son pouvoir politique, pour s'enrichir, pour s'assurer une main-d'œuvre gratuite de prisonniers, mais aussi, et au moins autant, pour s'approprier les trésors humains, spirituels et magiques de ses voisins : religieux éminents, artistes, reliques ou statues du Sage, autant de sources et de signes de prééminence. Parce qu'on lui avait refusé une copie du canon bouddhique, Anowarahta s'empare en 1057 de Thatön et en ramène, certes, les textes convoités, mais aussi le roi, prisonnier, et ses artistes. Les roitelets soumis envoient des tributs dont la valeur réside avant tout dans la rareté : matières précieuses, objets d'art locaux, orchestres, qui serviront de modèles. Les reines jouèrent un rôle non moins important dans le développement artistique. Aucun pays d'Asie n'accorde aux femmes un statut aussi strictement égalitaire et un rôle aussi considérable. Le roi épouse des princesses de chacune de ses provinces et de ses États vassaux. Elles apportent avec elles leurs modes, leurs artisans, leurs religieux. La première reine de Kyanzittha était sans doute bengalie : on reconnaît son empreinte dans l'iconographie de l'Abeyadana, d'inspiration tantrique. Nulle part en Indochine autant de temples ne sont réputés avoir été fondés par des reines : légende, peut-être, mais fort révélatrice.

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1000 à 1100. Seldjoukides - crédits : Encyclopædia Universalis France

1000 à 1100. Seldjoukides

Temples de Pagan, Birmanie - crédits : Jerry Alexander/ Photodisc/ Getty Images

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