OSHIMA NAGISA (1932-2013)
Oshima Nagisa, né le 31 mars 1932 à Kyōto, est considéré comme le « chef de file » de la Nouvelle Vague japonaise des années 1960. Contrairement à son condisciple Yoshida Yoshishige qui étudie la littérature, Oshima suit des cours de droit et de politique. Il milite au sein du mouvement d'extrême gauche Zengakuren et préférera, à ses prestigieux collègues, la compagnie de cinéastes jugés infréquentables, comme Adashi Masao et Wakamatsu Koji, aux propos politiquement radicaux et sexuellement explicites. Diplômé de l'université de Kyōto en 1954, il intègre, la même année, en tant qu'assistant réalisateur, les studios de la société de production Shochiku. En 1961, il fonde la société Sozosha qui lui permet de travailler en indépendant à partir de 1965. Une hémorragie cérébrale, survenue en 1996, le laisse invalide et diminué. Il meurt le 15 janvier 2013 à Fujisawa.
À l'opposé de contemporains comme Yoshida, Oshima ne cherche pas à approfondir un style spécifiquement artistique. Les films qu'il réalise entre 1959 (Une ville d'amour et d'espoir) et 1972 (Une petite sœur pour l'été) sont profondément liés à l'évolution sociopolitique du Japon, au mouvement étudiant nourri des luttes contre les alliances du pays avec les États-Unis, à la question coréenne, à la quête identitaire, à la défense de la liberté d'expression et à la recherche d'une écriture capable, à chaque nouveau film, de se renouveler. La récurrence de certaines thématiques, l'adoption d'un point de vue contestataire permanent délimitent un univers formel reconnaissable, surtout entre La Pendaison (1968) et La Cérémonie (1971).
Les damnés du Japon
De son premier long-métrage à Il est mort après la guerre (1970), les protagonistes des films d'Oshima sont souvent des jeunes gens, parfois des étudiants. Une ville d'amour et d'espoir, Contes cruels de la jeunesse (1960) et L'Enterrement du soleil (1960) relèvent d'un « néoréalisme » à l'état brut tel que le pratiquait Pasolini à la même époque. Les trois films sont tournés en Cinémascope ; le premier en noir et blanc, chromatisme qui revient, souvent, chez lui, jusqu'en 1970. Contes cruels de la jeunesse, comparé parfois à un À bout de souffle nippon, est le premier de ses films dans lesquels le personnage de l'adolescent criminel va de pair avec une violente contestation de la société traditionnelle. L'Enterrement du soleil se focalise sur la vie d'un bidonville où la misère conduit les habitants à vendre leur sang pour survivre.
Oshima tourne, toujours en 1960, Nuit et brouillard au Japon, qui le rend célèbre dans son pays. L'action, située trois mois après les événements évoqués – l'échec de la lutte contre la prorogation du traité de coopération mutuelle et de sécurité entre les États-Unis et le Japon –, se déploie dans une vaste salle où un couple de jeunes militants se marie. Le cinéaste travaille ici les longs plans-séquences parfaitement adaptés aux divers flash-back qui nous éclairent sur dix ans de résistance communiste et gauchiste au gouvernement. Choqués par l'audace de l'œuvre, les dirigeants de la Shochiku la retirent de l'affiche. Le cinéaste rompt avec le studio, tourne deux films de commande, Le Piège (1961) et Le Révolté (1962), avant de débuter une carrière en indépendant.
Dix ans après ce film crucial, les étudiants sont encore au centre d'Il est mort après la guerre (1970), le dernier film en noir et blanc stylisé de l'auteur. Si les protagonistes semblent avoir toujours le même âge, ils expriment toutefois le scepticisme d'Oshima, presque quadragénaire, qui pense désormais que la révolution n'est plus possible. Le film commence avec le suicide d'un membre du collectif de cinéastes militants, protagoniste de l'œuvre, censé filmer des manifestations de 1969, connues sous le nom la « guerre de Tōkyō ». Un ami récupère sa caméra et visionne, avec le groupe, les rushes : des plans de rues insignifiants. Chacun essaie, alors, de reconstituer le message du défunt. Dans ce film d'une grande richesse formelle, Oshima mêle plans courts rapides, longs plans, caméra tenue à l'épaule et séquences plus longues.
Des étudiants sont à nouveau les protagonistes d'À propos des chansons paillardes au Japon (1967) et Le Retour des trois saoulards (1968. Dans le premier, trois adolescents se rendent à Tōkyō pour passer leurs examens d'entrée à l'université. Comme dans Les Plaisirs de la chair (1965) la quête sexuelle est omniprésente, mais abordée de manière souvent fantasmatique. Le Retour des trois saoulards est une œuvre presque nonsensique : deux déserteurs coréens subtilisent les vêtements de trois étudiants qui se baignent dans la mer. Les jeunes Japonais seront malmenés du simple fait de porter des habits coréens.
Sans être vraiment identifié à un étudiant, Torio, le héros du Journal du voleur de Shinjuku (1968), dérobe des livres dans une grande librairie (dont le Journal du voleur de Jean Genet), trouve bientôt une complice et erre avec elle à la recherche de l'amour et de soi-même. Film existentiel d'une grande richesse plastique (le noir et blanc et la couleur se croisent), le film pratique une synthèse détonante entre art, crime et protestation.
Tombant, lors d'un voyage en Corée en 1964, sur le récit écrit par un enfant, Oshima tourne le court-métrage Le journal de Yungobi, mélange de photos et de considérations sur l'état déplorable du pays, dû en grande partie à sa colonisation par le Japon entre 1910 et 1945.
Le cinéaste reviendra à plusieurs reprises sur la question coréenne, qui est au centre de La Pendaison (1968), son plus grand film et celui qui l'a fait connaître dans le monde entier.
La Pendaison, à l'instar d'autres longs-métrages s'inspire d'un fait divers : en 1958, un jeune Coréen est condamné et exécuté pour un double viol suivi de meurtre. Comme chez Kafka, le protagoniste du film n'a pas de nom, il est seulement désigné par la lettre R. Dans son souci de créer une œuvre polyphonique, le cinéaste croise le surréalisme, Brecht et Godard, dont il « japonise » les apports. La fable est complexe : la pendaison de R. échoue, il survit, mais perd la mémoire. La loi japonaise interdisant l'exécution d'un individu qui n'est pas conscient de sa culpabilité, gardiens et officiels tentent de faire en sorte que le condamné retrouve la mémoire, tout en le confortant dans sa position de « sous-homme » coréen. Après le huis clos de la prison, le film propose une envolée onirique en extérieurs d'une force expressive stupéfiante, avant le retour à la salle d'éxécution.
Dans la vision d'Oshima, les étudiants, les Coréens, les femmes sont ainsi les victimes du Japon du boom économique. Cette quête identitaire rejoint certains films contemporains comme Le Visage d'un autre, de Teshigahara Hiroshi, 1966, ou L'Évaporation de l'homme, de Imamura Shohei, 1967.
Oshima, comme Pasolini, se veut un « corsaire » du septième art. Il transforme un serial killer (L'Obsédé en plein jour, 1966), en personnage, certes ambigu, mais complexe, et appelle, dans Été japonais : double suicide (1967), à une insubordination totale envers l'État. Il redevient l'entomologiste impitoyable des dérèglements de son pays dans Le Petit Garçon (1969).
Accédez à l'intégralité de nos articles
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Raphaël BASSAN : critique et historien de cinéma
Classification
Médias
Autres références
-
L'EMPIRE DES SENS, film de Nagisa Oshima
- Écrit par Jacques AUMONT
- 1 041 mots
L'offensive du sexe avait commencé en 1974 sur les écrans français, avec des films aussi crus que Les Valseuses (Bertrand Blier), Contes immoraux (Walerian Borowczyk) ou Sweet Movie (Dušan Makavejev), et culminé avec Exhibition (Jean-François Davy, 1975), où l'héroïne faisait « tout » devant...
-
ÉROTISME
- Écrit par Frédérique DEVAUX , René MILHAU , Jean-Jacques PAUVERT , Mario PRAZ et Jean SÉMOLUÉ
- 19 777 mots
- 6 médias
Bien que L'Empire des sens (1976) deNagisa Oshima soit un film d'auteur, il n'échappe pas à six années de procès au Japon avant d'offrir à l'artiste une notoriété internationale (en Belgique l'œuvre restera hors d'accès pendant plus d'une décennie). Le cinéaste repousse les frontières formelles, narratives... -
JAPON (Arts et culture) - Le cinéma
- Écrit par Hubert NIOGRET
- 5 430 mots
- 1 média
...réalise ses derniers films (il meurt en 1963, après avoir réalisé Le Goût du saké[Samma no aji]), les « jeunes gens en colère » s'appellent Ōshima Nagisa (Contes cruels de la jeunesse[Seishunzankoku monogatari], 1960 ; Nuit et brouillard du Japon[Nihon no yoru to kiri], 1960 ; La Pendaison... -
KITANO TAKESHI (1947- )
- Écrit par Hubert NIOGRET
- 566 mots
D'abord révélé à l'étranger, notamment en 1993 au festival international du film de Cannes pour son quatrième film, Sonatine, Kitano Takeshi est une personnalité singulière dans la cinématographie japonaise. Né en 1947, il est plus jeune que les cinéastes de la nouvelle vague, notamment...
Voir aussi