ONDELETTES

Qu'y a-t-il de commun entre le stockage numérique des empreintes digitales effectué par le F.B.I., la compression des images pour la télévision haute définition et le téléphone vidéo, le stockage ou la transmission de résultats de mesures sismiques, l'analyse des grandes structures galactiques, la modélisation des cascades d'énergie dans des écoulements hydrodynamiques fortement turbulents, ou encore la détection des ondes gravitationnelles ? Fondamentalement rien, si ce n'est que tous ces problèmes – et bien d'autres encore – sont susceptibles d'être traités en utilisant une famille de méthodes mathématiques, génériquement appelées méthodes temps-fréquence, et, en particulier, l'analyse par ondelettes.

Qu'est-ce qu'une ondelette ? En schématisant à l'extrême, nous dirons qu'une ondelette est l'idéalisation mathématique d'une note de musique. De même que l'on représente une œuvre musicale sous forme de séries de notes portées sur une partition, de même on peut songer à utiliser des « notes mathématiques » pour représenter certains objets mathématiques, tels des fonctions ou des signaux. De même qu'une note de musique est un « morceau de son », apparaissant à un instant donné, d'une durée donnée et d'une hauteur donnée, de même une note mathématique est un objet auquel on associe des caractéristiques physiques telles que leur localisation dans le temps, leur durée et leur hauteur.

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L'analyse par ondelettes a été introduite au début des années 1980 pour les besoins des études sismiques en prospection pétrolière. Il s'agissait à l'époque de donner une représentation des signaux permettant de faire apparaître simultanément des informations temporelles (localisation dans le temps, durée) et fréquentielles, facilitant par là l'identification des caractéristiques physiques de la structure géologique à l'origine du signal. Les ondelettes n'ont depuis lors cessé de se développer et de trouver de nouveaux champs d'application. C'est ainsi qu'est apparu un parallèle étonnant entre ces méthodes et des techniques développées à des fins totalement différentes dans le domaine du traitement des images, mais aussi des théories mathématiques dont les objectifs n'ont aucun lien apparent – comme des problèmes d'analyse mathématique pure, ou d'autres liés à la quantification de certains systèmes classiques ou, plus récemment, concernant les statistiques.

Avec quelques années de recul, il apparaît que ce sont ces origines « scientifiquement cosmopolites » qui ont donné à la théorie toute sa richesse et sa beauté, en même temps que se dessinaient ses vastes domaines d'application.

1. La musique des mathématiques

La partition de Fourier

Les ondelettes, ces notes mathématiques, sont à comparer aux sinusoïdes sur lesquelles repose l'analyse de Fourier (ou analyse spectrale) usuelle.Dans un certain sens, une sinusoïde est une note totalement idéalisée, associée à une fréquence « infiniment pure », mais à laquelle on ne saurait affecter de notion temporelle précise (instant de départ, durée) : une sinusoïde n'a ni début ni fin.

L'analyse de Fourier nous enseigne qu'un signal quelconque peut s'écrire comme une somme de telles sinusoï•des, de fréquences et d'amplitudes variables. Un signal est entièrement caractérisé par l'ensemble des amplitudes des sinusoïdes, qui forme ce que l'on appelle sa « transformée de Fourier ». La transformée de Fourier est porteuse de précieuses informations sur le signal analysé ; elle contient en fait toutes les informations disponibles. On sait par exemple que, si elle n'a que de faibles valeurs pour des valeurs élevées de la variable de fréquence, cela signifie que le signal varie lentement. Inversement, si elle prend des valeurs importantes pour les hautes fréquences, le signal contient une quantité non négligeable de hautes fréquences, et donc varie rapidement, au moins dans certaines zones. Et c'est précisément là que nous touchons du doigt l'une des limitations importantes de l'analyse de Fourier usuelle. La transformée de Fourier du signal est incapable de localiser les portions du signal dans lesquelles les variations sont rapides ainsi que celles où elles sont lentes.

La partition de Gabor

Un prototype d'analyse par ondelettes avait été proposé au milieu des années 1940 par le physicien Dennis Gabor, qui en 1971 reçut le prix Nobel de physique pour ses travaux sur l'holographie. Gabor suggérait de rendre locale l'analyse de Fourier, en s'aidant de « fenêtres ». Une fenêtre est une fonction régulière, lentement variable et bien localisée, ce qui signifie qu'elle est nulle en dehors d'une certaine zone, qui constitue son support. En multipliant la fonction étudiée par une fenêtre, on en obtient une version « locale », dont on peut déterminer le contenu fréquentiel par analyse de Fourier classique. On renouvelle alors l'opération en déplaçant la fenêtre d'analyse. L'ensemble de ces transformées de Fourier ainsi localisées forme la transformée de Gabor du signal, elle fournit donc une analyse fréquentielle locale.

Cette opération est toutefois loin d'être innocente. Nous nous heurtons ici à une barrière infranchissable, connue sous le nom d'inégalités de Heisenberg, que l'on peut exprimer ainsi : ce que nous avons gagné en localité, en précision temporelle, est irrémédiablement perdu en précision sur les fréquences. En d'autres termes, en cherchant à préciser les notions temporelles, nous avons rendu floues les notions fréquentielles. Cette incertitude, pour limitante qu'elle soit, fait aussi la substance et la saveur de cette nouvelle problématique qu'est l'analyse temps-fréquence : il revient à l'utilisateur de décider quelle est la part de précision temporelle et de précision fréquentielle dont il a besoin.

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L'analyse de Gabor a connu de multiples applications pratiques, notamment dans le domaine du traitement des signaux audiophoniques. On peut en particulier citer l'exemple du vocodeur de phase, qui connut de grands succès dans le domaine du traitement numérique de la parole. Son principe essentiel est que le signal de parole (c'est-à-dire les ondes de pression acoustique émises par l'appareil vocal du locuteur et se propageant jusqu'au tympan de l'auditeur) possède une représentation de Gabor très caractéristique, à partir de laquelle il peut être possible (pour des experts ou pour des programmes informatiques très sophistiqués) d'identifier soit le locuteur, soit la phrase prononcée. Un autre exemple d'application de l'analyse de Gabor est fourni par les problèmes de détection de signaux, en acoustique sous-marine par exemple. De tels signaux prennent souvent la forme de tons assez courts, dont la fréquence peut varier en fonction du temps. Il est bien évident que la loi de variation de la fréquence en fonction du temps est porteuse d'informations, très difficiles à extraire par analyse de Fourier. L'analyse de Gabor fournit souvent une réponse satisfaisante à ce problème.

De même que la transformée de Fourier, la transformée de Gabor d'un signal contient toutes les informations qu'il porte. Par conséquent, le signal peut être reconstruit à partir de sa transformée de Gabor. Cette reconstruction est remarquablement simple : le signal peut être synthétisé comme somme de gaborettes, qui ne sont autres que des sinusoïdes localisées par des fenêtres du même type que celles qui sont utilisées pour la transformation de Gabor. À chacune de ces gaborettes sont attachés une fréquence et un temps bien déterminés. Le poids d'une gaborette dans un signal n'est autre que la valeur de sa transformée de Gabor pour la fréquence et le temps correspondants.

La partition de Morlet

L'analyse par ondelettes, proposée initialement par J. Morlet, plus récente (quoique l'on puisse lui trouver des origines aussi anciennes que l'analyse de Fourier à fenêtres), se fonde sur un concept quelque peu différent de celui de fréquence : le concept d'échelle. Au lieu de considérer des fonctions oscillantes placées à l'intérieur d'une fenêtre, que l'on fait ensuite coulisser le long d'un signal à analyser (les gaborettes), les ondelettes sont davantage des copies les unes des autres ; copies presque conformes, puisqu'elles sont de forme constante et ne diffèrent que par leur taille. La décomposition (continue) en ondelettes est similaire à la décomposition de Gabor : un signal s'écrit sous la forme d'une superposition de telles ondelettes décalées et dilatées. Les poids de ces ondelettes dans la décomposition (appelés « coefficients d'ondelettes ») forment la « transformée en ondelettes », qui est donc une fonction de deux variables : le temps et l'échelle (ou dilatation).

Avec l'analyse par ondelettes et l'analyse par gaborettes, nous disposons donc de deux méthodes de décomposition des signaux en fonctions élémentaires, engendrées par des transformations simples d'une fonction de base. La fonction de base est soit déplacée et modulée (dans le cas des gaborettes), soit translatée et dilatée (ondelettes). La différence fondamentale entre les deux tient précisément à cette opération de dilatation : les ondelettes s'adaptent d'elles-mêmes à la taille des caractéristiques qu'elles recherchent. Elles sont très étendues pour étudier les basses fréquences (les grandes échelles) et très fines pour étudier des phénomènes plus transitoires (hautes fréquences, ou petites échelles). Cette procédure, développée par S. Mallat et systématisée par I. Daubechies, porte le nom de « multirésolution » et suggère une interprétation différente de l'analyse par ondelettes, fondée sur l'idée de lissage, ou d'approximation des fonctions. Pour illustrer ce propos, on peut s'éloigner pour un temps des exemples de signaux musicaux évoqués jusqu'ici et prendre un exemple de fonction de deux variables particulière, en l'occurrence une image. Une image (en noir et blanc pour simplifier) consiste en une série de points (pixels) plus ou moins sombres (on parle de niveaux de gris) que l'on peut idéaliser comme une fonction dans un espace à deux dimensions (le plan de l'image), qui associe à chaque point un nombre représentant son niveau de gris (l'intensité lumineuse en ce point). Lisser notre image (mathématiquement, en prendre le produit de convolution avec une fonction très régulière) revient à la rendre floue, c'est-à-dire à en diminuer la résolution. Si nous considérons maintenant deux versions floues de l'image, à des résolutions différentes, nous pouvons nous intéresser aux détails qui sont toujours présents dans l'image la moins floue, mais qui ont disparu dans l'image la plus floue. Mathématiquement, cela revient à calculer une différence entre les deux fonctions lissées, et l'on peut montrer que cette opération est identique au calcul d'une transformée d'ondelettes (bidimensionnelle) de notre image. À ce moment-là, la reconstruction de l'image à partir de ses coefficients en ondelettes prend une signification intuitive évidente : l'image, à sa résolution la plus grande, est égale à la somme d'une version floue, et des détails apparaissant à des échelles différentes, c'est-à-dire à des résolutions différentes.

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Les décompositions en ondelettes existent dans plusieurs versions, que l'on choisit en fonction de l'application visée. On distingue principalement deux types de décompositions en ondelettes. La première version fournit des décompositions non redondantes, dans lesquelles les ondelettes considérées sont exactement en nombre suffisant pour caractériser la fonction analysée. Les ondelettes correspondantes forment alors une base de l'espace considéré. Ces bases d'ondelettes sont très utilisées, en particulier pour des applications en compression des signaux. La seconde possibilité consiste à travailler avec des familles surabondantes d'ondelettes. Ce faisant, on augmente bien entendu le nombre de coefficients d'ondelettes considéré, dans l'espoir de renforcer leur valeur significative. Les décompositions redondantes sont très utilisées en analyse des signaux, par exemple.

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  • MEYER YVES (1939- )

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    En 1984, il se lance dans une nouvelle aventure : celle desondelettes. Cette théorie est basée sur l’intuition d'un ingénieur, Jean Morlet, qui travaillait en détection pétrolière et étudiait les signaux obtenus par réflexion sismique : une vibration émise en surface est réfléchie par les différentes...

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