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OCCIDENTALISTES RUSSES

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Né avec les réformes de Pierre le Grand, l'occidentalisme ne peut être exclusivement défini comme un courant progressiste opposé à un chauvinisme passéiste et rétrograde ; la bureaucratie pétersbourgeoise, après tout, était « occidentaliste » à sa manière. Le grand débat des années 1840 entre slavophiles et occidentalistes prend à témoin l'opinion publique russe, mais il se déroule entre représentants d'une intelligentsia composée encore en majorité de nobles nourris aux mêmes sources : penseurs catholiques de la contre-révolution, historiens français de la Restauration, socialistes utopiques, dialecticiens allemands et théoriciens de la Naturphilosophie. Il constitue un schisme, ou mieux un dédoublement devant la nécessité de formuler une philosophie de l'histoire appropriée à la Russie : les deux faces de Janus, dira Herzen. La crise éclate vers 1840 quand se pose le problème de l'héritage hégélien : la conciliation longtemps espérée entre la foi et la science se révèle impossible. Il faut choisir. Les uns (Kireïevski, Khomiakov, Samarine, les frères Aksakov) remettent en cause toute la culture occidentale, la philosophie depuis Aristote, au nom des valeurs spirituelles russes ; les autres, tout en songeant à l'avenir de la Russie, persistent à lier son sort à celui de l'Occident. Le camp occidentaliste regroupe la plupart des membres du cercle de Stankevitch, renforcé par le retour à Moscou des « politiques » (Herzen et Ogarev) et la rentrée d'Allemagne de professeurs comme Granovski et Redkine. La revue pétersbourgeoise de Kraïevski, Les Annales de la patrie (Otečestvennye Zapiski), animée par Bielinski, devient l'organe des occidentalistes. Bientôt des divergences apparaissent. Herzen, au nom de la science, veut dissiper les dernières illusions conciliatrices et rompt avec Granovski ; Bielinski, au nom du socialisme, met en cause la société bourgeoise occidentale. Celle-ci trouve des défenseurs tels Botkine, Annekov, Kaveline, Tourguenev, parmi l'aile modérée qui se regroupe après le départ de Herzen et la mort de Bielinski autour du Contemporain (Sovremennik), la revue de Panaïev et de Nekrassov. Au début du règne d'Alexandre II, des collaborateurs « déclassés » entrent à la rédaction : Tchernychevski et Dobrolioubov sont des raznočincy, autrement dit ils sont privilégiés et exempts d'impôts, roturiers mais non pas artisans ni marchands. Un conflit éclate alors entre les libéraux et les démocrates révolutionnaires, entre les partisans de l'art pur et les champions d'une littérature au service des idées démocratiques. Le terme « occidentaliste » perd alors toute valeur conceptuelle.

— Alexandre BOURMEYSTER

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, docteur ès lettres, maître de conférences à l'université de Grenoble-III

Classification

Pour citer cet article

Alexandre BOURMEYSTER. OCCIDENTALISTES RUSSES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Autres références

  • BIÉLINSKI ou BELINSKI VISSARION GRIGORIEVITCH (1811-1848)

    • Écrit par
    • 2 335 mots

    Les années 1830-1848 en Russie sont une période de réflexion, de fermentation intellectuelle. Les générations qui arrivent à la vie publique passeront par toutes les étapes de l'évolution spirituelle de l'Europe, du siècle des Lumières à Hegel et, pour certains, à Feuerbach et Marx. La société cultivée...

  • LES DÉMONS, Fiodor Dostoïevski - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 1 334 mots
    • 1 média
    La Commune de Paris apparaît ainsi à Dostoïevski comme l'ultime avatar d'une civilisation européenne déchristianisée. Elle apporte la preuve concrète du péril mortel que fait courir à la Russie le courant occidentaliste initié par le critique Biélinski et poursuivi notamment par Tourguéniev et...
  • HERZEN ALEXANDRE IVANOVITCH (1812-1870)

    • Écrit par
    • 1 694 mots
    ...sociologique et politique, entre le souci de la liberté individuelle, écrasée par le poids de l'autorité et de la tradition, et le risque clairement entrevu d'atomisation ou de désintégration sociale. D'où, chez cet « occidentaliste », des tendances slavophiles qui apparaîtront notamment dans le populisme.
  • OGAREV NIKOLAÏ PLATONOVITCH (1813-1877)

    • Écrit par
    • 301 mots

    Fils d'un riche propriétaire, Ogarev se lie dès l'adolescence d'une amitié indéfectible pour Herzen : étudiant à Moscou, membre de son cercle, arrêté avec lui en 1834, il est exilé dans la propriété paternelle à Penza. En 1839, il retourne à Moscou. Ses réceptions, ses activités littéraires, ses déboires...

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