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NICOLAS BOURBAKI (A. Aczel)

Sous-titré « Histoire d'un génie des mathématiques qui n'a jamais existé », le livre (éd. J.-C. Lattès, Paris, 2009) qu'Amir Aczel – chercheur au Centre d'histoire des sciences de l'université de Boston (États-Unis) – consacre au groupe Bourbaki et à son influence sur les mathématiques du xxe siècle est un hommage objectif et fort documenté aux réalisations de quelques mathématiciens. Ces derniers ont contribué de façon décisive à la renaissance de l'école française de mathématiques. En liant cette page de l'histoire des sciences au structuralisme et au mouvement littéraire Oulipo, l'auteur montre comment l'éclosion des « maths modernes » influença la culture contemporaine.

En décembre 1934, cinq mathématiciens (Henri Cartan, Claude Chevalley, Jean Dieudonné, Jean Delsarte et André Weil), réunis dans un café parisien au coin du boulevard Saint-Michel et de la rue Soufflot, décident d'écrire collectivement un traité d'analyse. Enseignants dans diverses universités, ils sont confrontés au manque de livres présentant de façon moderne le calcul différentiel et intégral. Leur enthousiasme vient en réponse à l'état catastrophique du monde universitaire français au lendemain de la Première Guerre mondiale (le nombre de diplômés morts au combat est sidérant). Contrairement à l'Allemagne, où une recherche de haut niveau a rapidement repris dans des centres comme Göttingen ou Berlin, les universités françaises ne brillent pas par leur apport au progrès des mathématiques. Au rythme d'une réunion chaque mois, le groupe, qui se nomme alors Comité de rédaction du traité d'analyse, commence une section introductive, titrée « Paquet abstrait », car la décision a été prise d'adopter l'approche la plus abstraite et axiomatique possible. Menés par André Weil, ces cinq jeunes enthousiastes – vite rejoints par quelques collègues – organisent un petit congrès en Auvergne en juillet 1935 : c'est là que naît officiellement Nicolas Bourbaki, sous le nom duquel on envoie une note aux très officiels Comptes rendus de l'Académie des sciences. En septembre 1936, après des heures de discussions passionnées, le premier texte dont la version finale est écrite par Jean Dieudonné, est approuvé à l'unanimité : le « Paquet abstrait » développe la théorie des ensembles qui, selon Bourbaki, fonde l'édifice entier des mathématiques modernes. Il est également décidé que la topologie et les espaces vectoriels topologiques constitueront le prochain sujet d'études, et que chaque volume aura un appendice historique. Une quarantaine de volumes seront ainsi publiés par les éditions Hermann, qu'un mathématicien avait fondées en 1876, rue de la Sorbonne à Paris. Ils forment les Éléments de mathématique, la mathématique étant mise au singulier pour souligner son unité.

Après avoir souligné que la volonté d'axiomatisation développée par Bourbaki est essentiellement héritée d'Euclide et de David Hilbert (1862-1943), Aczel insiste sur l'importance du concept de structure que Bourbaki place au premier plan de la pensée mathématique. Par exemple, la notion de voisinage identifiée comme une « structure mère » est naturelle en topologie, mais apparaît de façon naturelle dans de nombreux autres domaines, y compris en dehors des mathématiques. De même, la notion de groupe a été fort développée depuis les travaux d'Évariste Galois (1811-1832), mais Bourbaki met l'accent sur l'importance de la structure intrinsèque de groupe. Selon Aczel, le concept de structure, issu des recherches en linguistique et dynamisé par Bourbaki, envahit bientôt des champs aussi divers que l'anthropologie, la psychologie et la littérature. La rencontre à New York en 1942 d'André Weil et de Claude Lévi-Strauss est à cet égard[...]

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Écrit par

  • : directeur de recherche émérite au CNRS, centre de physique théorique de l'École polytechnique, Palaiseau

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Bernard PIRE. NICOLAS BOURBAKI (A. Aczel) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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