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MARK ROTHKO (exposition)

« C'est notre fonction en tant qu'artiste de faire voir le monde au spectateur de notre façon – pas de la sienne », écrivait Mark Rothko en 1943, affirmant que la portée de son art reposait sur une force de persuasion brutale. Cette capacité de l'art à convertir le spectateur dépend en premier lieu de la faculté qu'a l'artiste de se transformer lui-même. En 1921, ce jeune émigré russe du nom de Marcus Rothkowitz écrivait ainsi sur une photographie de lui en étudiant : « Je ne ressemble pas à ça. » La rétrospective de la peinture de Mark Rothko (1903-1970), organisée par la National Gallery of Art de Washington, que présentait le musée d'Art moderne de la Ville de Paris du 14 janvier au 18 avril 1999, exprime l'ambition de l'artiste : faire le monde à son image.

Sur fond de dépression économique et de crise politique profonde, des peintures comme Scène de rue (1937) signalent l'oppression d'un environnement urbain menaçant, qui écrase ou submerge physiquement des figures anonymes. À l'époque, la peinture de Rothko s'oppose autant au formalisme abstrait qu'au réalisme de propagande dominants. Il ne fait aucun doute pour l'artiste que l'idée d'un art (donc d'un esprit) « purement américain » relève d'une doctrine totalitaire. Cependant, comme l'écrira le peintre Barnett Newman (1905-1970), « aucune [nation], même fasciste, n'a prétendu faire date dans l'histoire de l'art grâce à [ses artistes commerciaux]. Aucune excepté l'Amérique ». De fait, les peintres de sa génération, ceux que l'on nomme généralement les expressionnistes abstraits, ne se départiront pas d'un fort sentiment d'aliénation à un contexte hostile. À la différence de l'art de la première avant-garde, estimait apparemment Rothko, sa peinture ne pouvait relever de l'utopie car « si l'on attendait la venue d'un environnement favorable, nos visions nouvelles ne seraient jamais inventées ni nos convictions formulées... ». À cette fin, le peintre rejettera doublement la figuration académique et l'abstraction classique. Il affirme en ce sens l'importance du sujet sans lequel l'abstraction tourne au décoratif, et entend simultanément réaffirmer « les formes plates [qui], écrit-il avec Gottlieb et Newman en 1943, détruisent l'illusion et révèlent la vérité ». Durant la guerre, sa peinture emprunte d'abord à la théorie jungienne sa conception universelle de l'inconscient collectif, que Syrian Bull (1943) et Omen of the Eagle (1943) ont pour fonction de dévoiler. Abandonnant après guerre cette imagerie au profit d'une expression chromatique, la peinture de celui qui en 1940 avait abrégé son patronyme en Mark Rothko se veut désormais « à la fois plus primitive et plus moderne que les mythes eux-mêmes ». Cette radicalité, qui deviendra la marque de l'abstraction classique de Rothko, mise sur la combinaison de trois facteurs essentiels : la couleur, la texture, l'échelle. L'usage du grand format, disait en effet le peintre, a « la force de l'indéniable ». Et, s'agissant de captiver durablement le spectateur, Rothko l'encourage à s'approcher de ces œuvres souvent monumentales, d'une intensité colorée hypnotisante, usant parfois de rapports de couleurs dissonants, d'une texture complexe, qu'un accrochage près du sol inscrit dans notre espace.

Fidèle aux modalités d'exposition suggérées par le peintre, le parcours de cette rétrospective permettait d'expérimenter ce rapport d'intimité qui peut s'instaurer avec des œuvres généralement privées de cadre et dont la couleur se poursuit sur les tranches de la toile, si bien que leurs limites physiques disparaissent finalement au regard. Cette confusion des espaces, accélérée par l'effet expansif,[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art contemporain à l'université de Brown, Rhode Island (États-Unis)

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Pour citer cet article

Hervé VANEL. MARK ROTHKO (exposition) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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