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SPERBER MANÈS (1905-1984)

Manès Sperber est né en 1905 à Lablotow (Galicie). Lorsque la guerre éclate, sa famille se réfugie à Vienne. Là, il va découvrir la psychanalyse auprès d'Alfred Adler et l'engagement communiste. À partir de 1927, il vit à Berlin, tandis que se précise la menace nazie. Arrêté lorsque Hitler prend le pouvoir, il se réfugie en Yougoslavie, puis à Paris en 1934. Il prend la direction de l'Institut international pour l'étude du fascisme, jusqu'à sa rupture avec le Parti communiste, en 1937.

Juif autrichien, enraciné dans cet Empire austro-hongrois qui était marqué par une culture cosmopolite où le yiddish occupait une place privilégiée, Manès Sperber fut l'homme du milieu, placé entre la foi de ses pères et le modernisme, entre l'engagement politique et la résignation raisonnée, entre l'illusion et le réalisme. Militant communiste, l'ère stalinienne lui ouvrit les yeux, et, dès lors, il se méfia de toutes les idéologies. Son militantisme antitotalitaire lui valut sans doute des inimitiés, à une époque où il était encore habile, commode et recommandé d'être proche du prosélytisme révolutionnaire. Manès Sperber conserva, dans la dignité et la discrétion, une attitude fermement hostile à tout embrigadement idéologique, réclamant pour l'homme le droit à la vérité et à la liberté. En somme, à partir de son exil, il connut un destin qui n'avait rien d'exceptionnel ou de dramatique et travailla à une œuvre qui, sereinement, se contentait de délivrer une explication de l'histoire et un récit de l'événement dénués de passion, de fureur et de rage. Manès Sperber a exprimé cette présence de l'homme dans l'histoire en lui confiant un rôle de démiurge, de témoin, mais surtout, aussi, d'éclaireur et de révélateur. Il l'a fait de trois manières : en essayiste et philosophe, en romancier, en écrivain qui se remémore et retrace les événements de sa vie.

L'essayiste et philosophe doit beaucoup à Alfred Adler, qu'il rencontra alors qu'il avait tout juste seize ans et dont il devint le disciple. Alfred Adler s'oppose à Freud en définissant la vie psychique comme « un mouvement continuel qui tend vers le haut » et la psychologie comme la « connaissance des hommes ». Manès Sperber enseigne la philosophie et la méthode de son maître, la « psychologie individuelle » ; il se sent, comme lui, un médecin de l'âme qui aide l'homme à prendre en charge son destin individuel tout en s'efforçant de s'accomplir dans une société libérée des postulats marxistes. À la sexualité, Adler oppose le sentiment social, celui d'appartenir à une communauté. Manès Sperber adhère profondément à cette philosophie. Il écrit en 1926 un premier essai sur son maître, Alfred Adler, l'homme et sa théorie, et, en 1970, une œuvre capitale dédiée à André Malraux, Alfred Adler et la psychologie individuelle (Alfred Adler oder Das Elend der Psychologie). Ses essais sur les crimes du régime soviétique, – et en particulier le livre intitulé Le Talon d'Achille (Die Achillesferse, 1957) – s'inspirent de cette sagesse toute socratique qui veut que l'individu ne soit pleinement lui-même que dans une communauté d'action et de pensée où il trouve ses véritables partenaires.

C'est cette même prise de conscience que revendique le romancier. La clandestinité où il est plongé pendant quatre ans lui permet d'écrire les œuvres qui paraîtront au lendemain de la Seconde Guerre mondiale ; Manès Sperber y fait le récit de sa vie, de ses engagements, de ses désillusions, de ses ruptures. Ses personnages, Doino et von Stetten, sont, comme lui, confrontés au pouvoir, au despotisme et à l'idéologie révolutionnaire. Et, comme lui, ils se réfugient dans un « amer espoir », dans un « optimisme désespéré ». La trilogie[...]

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Écrit par

  • : ancien directeur littéraire des éditions Casterman, ancien rédacteur en chef de la revue Documents, critique littéraire spécialiste de la littérature allemande

Classification

Pour citer cet article

René WINTZEN. SPERBER MANÈS (1905-1984) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • CONSPIRATIONNISME

    • Écrit par Emmanuel TAÏEB
    • 6 436 mots
    • 2 médias
    Le deuxième procédé relève d’une « vision policière de l’histoire » (Manès Sperber), car il analyse tout épisode particulier en se demandant « à qui profite le crime ». L’analyse des conspirationnistes part de la fin, c’est-à-dire des bénéficiaires supposés de la chaîne des événements historiques...

Voir aussi