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LOYAUTÉ

La question de la loyauté est du plus haut intérêt pour le sociologue. Elle l'amène à s'interroger à la fois sur les conditions auxquelles un groupe est cohérent et sur celles auxquelles les membres du groupe peuvent se faire confiance. Jusqu'à quel point la loyauté est-elle un ingrédient essentiel à la cohésion sociale ? Dans quelle mesure la confiance que nous plaçons dans un de nos partenaires dépend-elle de sa loyauté vis-à-vis du groupe ? La tradition sociologique, surtout dans sa variante durkheimienne, se caractérise par une conception maximaliste de la loyauté. On peut se demander si les transformations récentes survenues dans nos sociétés ne nous invitent pas à une conception moins exigeante, en même temps que la prise en compte d'autres éléments nous suggère une conception plus souple de la cohésion sociale.

Les cadres sociaux de la loyauté

C'est dans trois contextes que se pose le problème de la loyauté : celui de la famille, celui des organisations, celui de l'État. Bien entendu, être loyal à ses parents n'est pas la même chose qu'être loyal à l'égard de l'entreprise qui nous emploie, ou envers l'État dont nous sommes citoyens. Mais, dans les trois cas, la loyauté s'analyse comme un ensemble de devoirs plus ou moins contraignants et de droits plus ou moins bien garantis. Nous avons vis-à-vis de nos parents des devoirs qui, dans les sociétés archaïques ou même simplement traditionnelles, ont un caractère quasi religieux. Dans la Corse de Prosper Mérimée, l'honneur d'un homme est inséparable de l'honneur de sa famille. L'outrage à la vertu d'une fille met à la charge de ses frères et de ses cousins l'obligation d'effacer l'infamie infligée à la famille tout entière.

Cette forme extrême de loyauté peut nourrir indéfiniment la vendetta. Aujourd'hui, pas plus les familles que les individus ne sont autorisés à se faire justice. Si mon frère est condamné à une peine afflictive et infâmante, je ne m'en trouve pas personnellement et immédiatement affecté. La notion traditionnelle a subi une double déflation. D'abord, l'honneur, qui est une certaine image de soi avec laquelle on ne transige pas et surtout dont on ne souffre pas qu'elle soit mise en cause par autrui, s'est transformé en un sentiment d'estime – appréciation favorable de notre personne et de notre conduite dans laquelle baignent nos actions comme dans une atmosphère diffuse. En deuxième lieu, le cercle des personnes devant lesquelles et par le fait desquelles l'estime qu'on me porte se trouve engagée a subi une forte réduction. Si ma femme me trompe et si je suis un cocu notoire et complaisant, je risque d'être ridicule, mais je le serais bien plus encore si je prétendais provoquer en duel celui ou ceux qui me font porter des cornes. En tout cas, il serait hors de propos que je prétende mobiliser le ban et l'arrière-ban des parents et des amis pour qu'ils en aillent découdre avec les parents et amis de l'amant de ma femme.

Le rayon des loyautés familiales s'est réduit, tandis que s'affaiblissait l'intensité de ces sentiments. En même temps se pose la question de notre loyauté vis-à-vis de ces ensembles sociaux bien différents de la famille qu'on appelle organisations. Sous ce terme, on désigne les entreprises, les bureaucraties, diverses formes d'associations. Ce qui caractérise les organisations, c'est qu'elles procèdent à la mobilisation méthodique de ressources en vue d'un objectif commun. Mais l'existence d'un objectif à réaliser par l'effort de tous ne supprime pas l'existence d'objectifs propres à chaque membre de l'organisation. Celle-ci constitue bien un système coopératif, mais les coopérateurs sont mus par des intérêts très divers. Si l'on prend le cas de l'entreprise capitaliste, le contraste est[...]

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Pour citer cet article

François BOURRICAUD. LOYAUTÉ [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ENTREPRISE - Théories et représentations

    • Écrit par Gérard CHARREAUX
    • 6 368 mots
    ...etc.), mais l'imprécision des mesures de performance liée au caractère collectif de la production et à ses aspects qualitatifs en limite l'efficacité. Il faut donc invoquer des mécanismes tels que la loyauté, c'est-à-dire l'identification aux buts organisationnels, pour expliquer l'efficience de la firme....
  • FOI

    • Écrit par Edmond ORTIGUES
    • 10 465 mots
    ...main à celle d'un esclave sinon pour l'affranchir). Pour inciter les ennemis à se rendre, les Romains surent user avec intelligence de leur réputation de loyauté, de fiabilité. D'illustres exemples étaient destinés à rappeler qu'on doit garder la foi, même envers les ennemis. Telle la réponse de Camille...

Voir aussi