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KRASNER LOUIS (1903-1995)

Est-ce l'exceptionnelle richesse du répertoire romantique et néo-romantique pour le violon ? Est-ce la naturelle inclination de cet instrument vers la mélodie ? Est-ce le conservatisme d'un public particulier fermement attaché à des formes et à des styles issus de la tradition ? Rares, très rares, sont les violonistes — notamment parmi ceux qui atteignirent leur maturité dans l'entre-deux-guerres — qui eurent le courage de préférer l'obscur combat pour les œuvres nouvelles aux voluptés des triomphes faciles. Sans Jelly d'Arányi (1893-1966), Samuel Dushkin (1891-1976), Saschko Gawriloff (né en 1929), Wanda Wilkomirska (née en 1929) et, bien évidemment, sans Joseph Szigeti (1892-1973), Bartók, Stravinski, Martinů, Ligeti, Maderna, Rihm, Schnittke, Baird, Penderecki et Szymanowski n'auraient pas conquis leur place dans le répertoire. Louis Krasner, créateur de deux des œuvres majeures de la littérature pour violon du xxe siècle, ne dépare pas cette glorieuse lignée.

Louis Krasner naît à Tcherkassy (Empire russe, aujourd'hui en Ukraine) le 21 juin 1903. Il n'a que cinq ans quand il quitte l'Europe pour les États-Unis. Au New England Conservatory of Music de Boston, il étudie le violon avec Eugene Gruenberg et la composition avec Frederick Shepherd Converse, et obtient son diplôme en 1923. Il se perfectionne alors avec Carl Flesch à Berlin, Lucien Capet à Paris et Otokar Ševčik à Prague. Il manifeste très tôt un goût affirmé pour la musique de son temps. Il se fait remarquer comme un défenseur des œuvres de Charles Ives et crée en 1928 à Boston le concerto pour violon d'Alfredo Casella. Persuadé que l'écriture dodécaphonique n'est pas incompatible avec le lyrisme propre à l'instrument, il suggère en 1934 à Alban Berg d'écrire un concerto pour violon. De cette commande, acceptée avec réticence, naîtra — après la mort à dix-huit ans, le 22 avril 1935, de Marion Gropius, fille d'Alma Mahler — le célèbre Concerto pour violon “à la mémoire d'un ange”. Krasner en assure la création, le 19 avril 1936, au festival de la Société internationale de musique contemporaine de Barcelone, sous la direction d'Hermann Scherchen, qui remplace au pied levé Anton von Webern, prévu pour la première audition. C'est d'ailleurs avec ce dernier, à la tête du B.B.C. Symphony Orchestra, qu'il réalisera la même année le premier enregistrement de l'œuvre.

Arnold Schönberg avait rêvé, pour la création de son concerto pour violon, de Rudolf Kolisch et d'Otto Klemperer. Il l'avait proposé à Jascha Heifetz, qui refusa d'affronter les difficultés musicales de la partition... et les réactions prévisibles de son public habituel ! C'est donc à Louis Krasner et à Leopold Stokowski que revint l'honneur de présenter, le 6 décembre 1940, le concerto au public de Philadelphie. Malgré un accueil assez froid, le violoniste reviendra à la charge en 1945 et en 1954, chaque fois sous la baguette de Dimitri Mitropoulos.

Premier violon du Minneapolis Symphony Orchestra de 1944 à 1949, il crée en 1946 le concerto pour violon de Roger Sessions. Il ralentit ensuite sa carrière de concertiste et se consacre à l'enseignement à l'université de Syracuse (État de New York), de 1949 à 1972, puis au New England Conservatory of Music à partir de 1974. Il meurt le 4 mai 1995 à Brookline, dans le Massachusetts.

Louis Krasner fut l'un des rares violonistes de son temps à comprendre et à parler avec aisance le langage de la deuxième école de Vienne. Les trop rares échos sonores qui nous sont parvenus de son jeu montrent qu'il abordait cette musique avec une simplicité toute classique et une poésie chaleureuse que bien peu, depuis lors, ont su égaler.

— Pierre BRETON

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Pierre BRETON. KRASNER LOUIS (1903-1995) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )