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BRONTË LES

La division par couples

Les quatre enfants assumeront diversement ce jeu grave et collectif qui est le centre de leur vie. Il semble qu'il faille situer assez tôt la division par couples, Charlotte et Branwell d'une part, Emily et Anne de l'autre. Mais on ne peut situer précisément le moment où les deux cadettes organisent leur propre jeu écrit. La rareté des indices invite d'autant plus à le comprendre par comparaison. Il transforme visiblement celui de leurs aînés, tant sur le plan des personnages que de la situation historique, géographique et politique. Les noms et les actions laissent pressentir un monde moins culturel, plus autonome, qui montre sur ce point avec les écrits des aînés une différence quelque peu similaire à celle qui paraît entre les romans de Charlotte et Wuthering Heights (Les Hauts de Hurlevent). Les « notes d'anniversaire » échangées entre les deux sœurs témoignent qu'Anne, avec la timidité qui lui est propre, Emily, avec cette autonomie qui la rend incomparable, joueront jusqu'à la fin, avec une discrétion qui confine au secret, le jeu de la première enfance.

Les textes de Charlotte et Branwell s'enchaînent l'un à l'autre comme des anneaux, ce qui rend tout à fait impossible de les lire isolément. Ils dessinent une trame d'une complexité extrême, qui transpose les données historiques de la Révolution française et des guerres napoléoniennes au cœur d'une Afrique découpée selon un ensemble de besoins logiques et sémantiques, dans une très grande liberté morale qui emprunte à Byron l'essentiel de ses formes. Branwell qui semble, seul garçon, avoir été l'initiateur du jeu, ne sortira jamais des pièges de cet imaginaire qui viendra se briser sur la réalité du monde. Quand il meurt à vingt-sept ans, terrassé par l'opium, la boisson, le délire et la fièvre, il tente encore d'accommoder les deux images et d'imposer vainement par la publication, tel quel, le rêve de l'enfance à l'objectivité de la littérature. Charlotte attendra d'avoir vingt-quatre ans pour échapper à la fascination exclusive de cet univers captateur. Elle pressent le mal et les germes d'une folie mortelle dans cette activité secrète offerte trop visiblement au désir infantile. La rupture est longue et difficile : entre 1840 et 1846, elle passe du refus de ses premiers écrits au masque salutaire de la publication.

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Pour citer cet article

Raymond BELLOUR. BRONTË LES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

<em>Les Sœurs Brontë</em>, P. B. Brontë - crédits : VCG Wilson/ Corbis/ Getty Images

Les Sœurs Brontë, P. B. Brontë

Autres références

  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature

    • Écrit par Elisabeth ANGEL-PEREZ, Jacques DARRAS, Jean GATTÉGNO, Vanessa GUIGNERY, Christine JORDIS, Ann LECERCLE, Mario PRAZ
    • 28 170 mots
    • 30 médias
    ...Zola avec Charles Reade (1814-1884), ou bien continuent à décrire la province, à la suite de Jane Austen, comme Mrs. E. C. Gaskell (1810-1865). Le cas des sœurs Brontë (Charlotte, 1816-1855 ; Emily, 1818-1848, et Anne, 1820-1849), surtout d'Emily, est si unique dans la littérature victorienne...
  • GOTHIQUE LITTÉRATURE & CINÉMA

    • Écrit par Gilles MENEGALDO
    • 6 313 mots
    • 5 médias
    L'Angleterre victorienne n'a pas renié, malgré l'orientation réaliste de sa littérature, la tradition gothique. Il y a dans WutheringHeights (1847) d’Emily Brontë des doigts glacés qui cognent aux vitres, une lande sinistre et un héros noir byronien (Heathcliff) ; dans Jane Eyre (1847), de...
  • LES HAUTS DE HURLEVENT, Emily Brontë - Fiche de lecture

    • Écrit par Claire BAZIN
    • 1 012 mots
    • 1 média

    Emily Brontë, née en 1818, est la fille du révérend Patrick Brontë. Comme ses sœurs, elle manifeste très tôt un goût prononcé pour l'écriture, s'associant avec la plus jeune, Anne, pour créer le royaume imaginaire de Gondal. Plus qu'aucune autre de ses sœurs, Emily est passionnément attachée à la...

  • JANE EYRE, Charlotte Brontë - Fiche de lecture

    • Écrit par Claire BAZIN
    • 889 mots
    • 1 média

    Charlotte Brontë (1816-1855) est la troisième fille de Patrick Brontë, pasteur de Haworth, et de Maria Branwell, qui disparaît très tôt, laissant les six enfants à la charge de leur père et de Miss Branwell, leur tante aux stricts principes méthodistes. Très jeune, Charlotte Brontë s'adonne à l'écriture...

Voir aussi