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LE MARIAGE DE FIGARO (P.-A. de Beaumarchais) Fiche de lecture

Beaumarchais, inventeur de la comédie moderne

Le succès premier du Mariage de Figaro, dans le milieu de la grande noblesse du royaume, reposait sur un paradoxe dont certains contemporains s'étaient avisés. La baronne d'Oberkirch écrit ainsi : « Le Mariage de Figaro est peut-être la chose la plus spirituelle qu'on ait écrite, sans en excepter peut-être les œuvres de Monsieur de Voltaire [...] Je rentrai chez moi en sortant de la comédie, le cœur serré de ce que je venais de voir et furieuse de m'être amusée. » Emportée par le tempo rapide de cette conversation à la mode dans les milieux des élites sociales de l'Ancien Régime, la comédie de Beaumarchais décoche une volée de traits brillants contre les abus qui caractérisent cette société. Elle se fait l'écho de toutes les insolences satiriques de l'époque et leur donne cette forme acérée qui emporte l'adhésion complice des spectateurs : la censure, la justice, les préjugés de la naissance, les privilèges de la noblesse, les mœurs libertines des « mâles », les relations de service, marquées par leur origine féodale et désormais insupportables, sont des cibles désignées pour un rire qui n'exclut pas la révolte. La fable elle-même, parce qu'elle raconte la rivalité d'un aristocrate et d'un plébéien qui parvient à ses fins, confirme une leçon politique et morale dans l'esprit des Lumières.

La virtuosité du jeu sur l'espace et le temps est d'autant plus sensible qu'ils sont « réalistes » dans leur détermination. Beaumarchais ne cesse de jouer sur des gageures : comment se cacher dans une chambre démeublée (au premier acte), comment escamoter cinq personnages dans un jardin, comment résoudre le mystère, déjà policier, qui s'offre au comte devant un cabinet fermé à clé, dans une chambre non moins fermée, qui devait bien receler un amant, mais qui est vide lorsqu'il y revient. Le théâtre du xixe siècle tout entier s'en inspirera.

Beaumarchais introduit dans la comédie la tonalité « sensible » qui caractérisait ses deux drames (Eugénie, 1767, et Les Deux Amis, 1770) et dote ses « héros » d'une épaisseur romanesque soulignée par la temporalité spécifique de la trilogie. La comtesse, jeune femme délaissée par son époux, est l'âme poétique d'un gynécée où s'organise une sorte de résistance morale (Mozart et son librettiste Da Ponte se montreront très sensibles à cette dimension dans Les Noces de Figaro, opéra-comique représenté en 1786). Figaro, dont les entreprises ne parviennent qu'à embrouiller l'intrigue, ne parvient à ses fins que par la rencontre du hasard et des projets de Suzanne et de la comtesse. Nouveau héros bourgeois, le « bâtard conquérant » des romans suscite une interrogation profonde sur le sujet, sur l'identité d'un plébéien en même temps que sur la parole théâtrale, sur le « je » qui advient au théâtre.

Dans Le Mariage de Figaro, Beaumarchais invente les structures profondes de la comédie moderne, lisibles chez Labiche ou chez Feydeau comme dans le cinéma de René Clair ou de Renoir, et du drame romantique : l'hommage rendu par Hugo à Beaumarchais en qui il voit, aux côtés de Corneille et de Molière, l'un des trois fondateurs de la scène française, a valeur emblématique. Si le lien du Mariage de Figaro à la Révolution française a été longtemps surévalué, sa portée idéologique et poétique en fait une œuvre majeure de la littérature française.

— Pierre FRANTZ

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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Pour citer cet article

Pierre FRANTZ. LE MARIAGE DE FIGARO (P.-A. de Beaumarchais) - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Beaumarchais - crédits : Leemage/ Corbis/ Getty Images

Beaumarchais

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