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BELLAY JOACHIM DU (1522-1560)

Derniers temps

On est stupéfait de la fécondité de Joachim pendant les dix-huit mois qui séparent son retour à Paris de sa mort. Il trouve le temps d'achever la séquence finale des Regrets, de faire paraître ce recueil, les Antiquitez de Rome, ainsi que les Poemata et les Divers Jeux rustiques, divertissement de l'exil romain. Il réunit aussi les sonnets des Amours où l'on trouve des compositions très récentes qui révèlent un Joachim à la fin de sa vie anéanti par la maladie à moins de trente-sept ans, isolé du monde par la surdité, et qui se compare à un cadavre, une statue, un glaçon, un roc, à :

... une froide image Errant au fond des éternelles nuits.

Son hypocondrie naturelle s'aigrit. Ses relations, déjà difficiles, avec son cousin ennemi qu'il est chargé de contrôler, l'évêque de Paris Eustache du Bellay, deviennent exécrables. La surdité totale qui s'abat sur lui le condamne à ne plus communiquer que par écrit, le privant ainsi de ce qui avait été sa consolation à son retour de Rome, l'intimité de son grand ami Jean de Morel, et autour de lui celle de sa famille, de son cénacle de lettrés. Reclu dans la maison du cloître Notre-Dame, Du Bellay écrit son « Deuxième Hymne chrétien », paraphrase de l'Oratio deprecatoria de Pic de la Mirandole ; les Xenia, badinages étymologiques sur les noms de famille de ses amis. Et, surtout, il s'avance dans l'arène politique. Au moment où la mort de Henri II remet tout en cause, il va paraphraser en alexandrins les manifestes politiques latins de Michel de L'Hospital sous les titres de « Discours sur le Sacré » et de « Ample Discours au roy ». À l'heure où les candidats au pouvoir cherchent à se placer, Joachim a opté pour le candidat du parti gallican modéré, qui est d'ailleurs le parti du clan Du Bellay unanime.

C'est l'année même de la mort de Du Bellay que parut la première édition des Œuvres complètes de Ronsard. Celles de Du Bellay durent attendre encore huit ans, mais elles reçurent un tel accueil qu'il fallut les réimprimer en 1573 et 1574. De tous les recueils, c'est celui des Antiquitez de Rome qui a le mieux passé les frontières. Il a été amoureusement traduit vers par vers par Edmund Spenser, poète admiré de Shakespeare, et par la suite par les Italiens et les Allemands. Tous ont contribué à faire de ce livre un classique européen.

Il fallait avoir sous les yeux les Œuvres complètes pour trouver les clés non seulement de l'ensemble mais des parties, pour percevoir l'omniprésence de pulsions contraires à la recherche d'un impossible accord parfait. C'est l'ambiguïté du désir qui polarise les thèmes de L'Olive ; c'est l'amour-haine de la Rome éternelle qui nourrit les recueils romains ; c'est un mélange de fascination et d'effroi devant le cauchemar de l'histoire qui inspire le Songe ; c'est la dialectique de l'être et du paraître qui sous-tend l'ironie dévastatrice des Regrets et de la Réponse au quidam, face aux publicains luxurieux de Rome et aux pharisiens de Genève. L'écriture est là pour médiatiser les angoisses et les obsessions du poète et, comme il le dit lui-même, les enchanter :

... en pleurant je les chante, Si bien qu'en les chantant souvent je les enchante.

L'enchantement n'a jamais cessé.

— Gilbert GADOFFRE

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Écrit par

  • : ancien professeur à l'université de Berkeley, professeur émérite à l'université de Manchester, fondateur de l'Institut collégial européen

Classification

Pour citer cet article

Gilbert GADOFFRE. BELLAY JOACHIM DU (1522-1560) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • LES REGRETS, Joachim du Bellay - Fiche de lecture

    • Écrit par Yvonne BELLENGER
    • 849 mots

    En 1553, Joachim du Bellay quitte Paris pour Rome afin d'être le secrétaire de son oncle, le cardinal Jean du Bellay. Pendant ce séjour qui n'est que déception et tracas, Du Bellay compose deux recueils de sonnets – Les Regrets et les Antiquités de Rome – publiés en 1558, quelques...

  • BAÏF JEAN ANTOINE DE (1532-1589)

    • Écrit par Hubert HARDT
    • 644 mots

    Poète français qui fit partie de la Pléiade. Dans Défense et illustration de la langue française, Joachim du Bellay cite « ces deux lumières françoyses, Guillaume Budé et Lazare de Baïf ». Fils naturel de ce dernier, Jean Antoine bénéficia d'une éducation humaniste hors pair. Il fut confié...

  • COQUERET COLLÈGE DE

    • Écrit par Bernard CROQUETTE
    • 336 mots

    Fondé en 1418 sur la montagne Sainte-Geneviève à Paris par Nicolas Coquerel ou Coqueret, le collège de Coqueret reste obscur jusqu'à ce que, à la rentrée de 1547, Jean Dorat y soit nommé professeur, et sans doute principal : il devient dès lors le berceau de ce qu'on appellera la ...

  • FRANCE (Arts et culture) - La langue française

    • Écrit par Gérald ANTOINE, Jean-Claude CHEVALIER, Loïc DEPECKER, Françoise HELGORSKY
    • 15 699 mots
    • 2 médias
    ...dessein l'idiome national. L'expression la plus brillante de ces préoccupations se trouve dans la Défense et illustration de la langue française de Joachim du Bellay. Cet intérêt nouveau pour les problèmes linguistiques fait naître la philologie, une réflexion grammaticale digne de ce nom, ainsi...
  • MOYEN ÂGE - L'affirmation des langues vulgaires

    • Écrit par Emmanuèle BAUMGARTNER
    • 2 533 mots
    Lorsque Du Bellay publie, un an après l'Art poétique français de Thomas Sébillet, la Défense et illustration (1549), la cause du vulgaire comme langue littéraire et poétique est donc depuis longtemps entendue. Le manifeste repose au reste sur une contradiction : tandis que la première partie...
  • Afficher les 9 références

Voir aussi