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OURY JEAN (1924-2014)

Figure majeure de la psychothérapie institutionnelle, Jean Oury ne cessait de rappeler qu’il ne savait pas ce qu’était cette thérapie, sinon la « trace d’un “mouvement” qui, pour rester vivant, doit toujours se jouer et se rejouer dans une dialectique concrète ».

Jean Oury naît le 5 mars 1924 à Paris. Son père était ouvrier polisseur chez Hispano-Suiza. Il passe son enfance à La Garenne-Colombes où il rencontre, en 1945, Félix Guattari, de six ans son cadet, qui fut l’élève de son frère Fernand, futur fondateur de la pédagogie institutionnelle. Cet enfant des beaux quartiers de la ville l’accompagnera dans l’aventure de La Borde. Il étudie la médecine et obtient une licence de physiologie générale. En 1947, il fait la connaissance de François Tosquelles et de Jacques Lacan. Il commence avec ce dernier une analyse en 1953 ; elle se poursuivra jusqu’en 1980. Il rejoint Tosquelles à l’hôpital de Saint-Alban en Lozère, berceau de ce que Georges Daumezon, en 1952, nommera « psychothérapie institutionnelle » pour désigner le mouvement qui s’est amorcé dans les années 1940, par la rencontre de la psychiatrie avec la psychanalyse : pour soigner les malades, il convient de soigner d’abord l’hôpital. Après deux ans passés à Saint-Alban mais « valant bien vingt ans ailleurs », lui dit Tosquelles, celui-ci l’envoie en 1949 prendre la direction de la clinique de Saumery, près de Blois. Oury appellera ce séjour son « huis clos » tant il sera décisif. Un conflit avec les propriétaires, opposés à des travaux de réaménagement qu’il considère urgents, le jette avec ses patients sur les routes du Loir-et-Cher. C’est alors qu’il découvre, le 3 avril 1953, le château de La Borde, à Cour-Cheverny, où il fonde la clinique qu’il dirigera jusqu’à sa mort, le 15 mai 2014.

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Jean Oury a été membre de l’E.F.P. (École freudienne de Paris) jusqu’à sa dissolution, en 1980, et participera aux nombreux regroupements du mouvement de la psychothérapie institutionnelle – groupe de Sèvres, groupe de travail de psychothérapie et de sociothérapie institutionnelles (G.T.P.S.I.), Société de psychothérapie institutionnelle (S.P.I.), groupe de Brignac, … Son frère, Fernand Oury, fut à l’origine de la pédagogie institutionnelle.

Si Oury s’inscrit dans la lignée de la psychothérapie institutionnelle, pour autant il en repère les prémices dans les débuts de la psychiatrie moderne chez Philippe Pinel aux débuts du xixe siècle, et même avant chez William Tuke, Vincenzo Chiarugi, etc., tous ceux « qui ont eu le souci de transformer la ségrégation ambiante, souvent carcérale, en systèmes ouverts, dans un désir d’“humaniser” les relations, de créer une véritable convivialité thérapeutique ». Il souligne ainsi que la psychiatrie, au-delà de son « service social » ségrégatif, s’est aussi d’emblée conçue, avec Pinel et Jean-Baptiste Pussin (1745-1811) le surveillant de l’asile de Bicêtre qui libéra les aliénés de leurs chaînes comme « traitement moral », telle une possibilité de réhabilitation du « fou », au nom d’une reconnaissance de la subjectivité supposée par la citoyenneté nouvelle de 1789. Cet ancrage historique explique notamment la vive opposition d'Oury à l’antipsychiatrie, car, pour lui, la psychiatrie dans son essence est humaniste ; c’est en devenant carcérale qu’elle s’est rendue oublieuse de ses origines.

La Borde fut le laboratoire où Jean Oury réinventa la psychothérapie institutionnelle, loin de tout dogme. Son séminaire – tenu à La Borde à partir de 1971, puis à Sainte-Anne de 1981 à sa mort – et ses très nombreux articles et ouvrages portent les traces de ses constantes réélaborations. La psychothérapie institutionnelle est ainsi définie comme condition de création d’un champ psychothérapique collectif, à la fois comme pratique et théorie multidimensionnelle impliquant des approches sociale, psychologique, psychanalytique et biologique. La notion de « transfert dissocié » lui est fondamentale en ce qu’elle montre l’impossibilité d’une prise en charge isolée d’un patient psychotique, ce dont rend compte l’expression de « constellation soignante ». Car la pathologie est entretenue par « l’ensemble hospitalier, les habitudes... ». Il s’agit donc de modifier « l’ambiance » en responsabilisant soignants et soignés, ce qui nécessite une critique concrète de l’institution hospitalière, où les intervenants se déprendraient de leur statut. Ceci suppose l’articulation d’une double aliénation, l’une sociale au sens marxiste, l’autre psychique, et proprement freudienne. « Cette “sous-jacence”, véritable collusion entre les faits d’aliénation massive et les fantasmes les plus lointains de tout un chacun, est ce qui peut nous guider pour mieux comprendre que la soi-disant “psychothérapie institutionnelle” n’est pas une simple technique qui peut se plaquer, en tant que telle, sur différentes configurations d’établissements psychiatriques, mais, au contraire, qu’elle est en prise directe avec le “réel” de la maladie mentale. » La mise en place du « club thérapeutique » sera l’« opérateur collectif » de cette critique en acte.

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Jean Oury aimait à répéter : « Qu’est-ce que je fous là ? » C’est bien cette question permanente qui soutint sa pratique comme son aventure intellectuelle pour produire des effets thérapeutiques à travers des agencements toujours précaires : « La Borde, c’est comme une bulle de savon. »

— Alain VANIER

Bibliographie

Œuvres

J. Oury, Essai sur la conation esthétique : l'imaginaire esthétique comme facteur d'intégration biopsychologique, thèse de médecine, 1950, rééd. Hermann, Paris, 2008 ; Psychiatrie et psychothérapie institutionnelle : traces et configurations précaires, Payot, Paris, 1976, rééd. Champs social, Lecques, 2001 ; Il, donc, U.G.E., Paris, 1978 ; Le Collectif. Le séminaire de Sainte-Anne, Scarabée, Paris, 1986, rééd. Champs social, Nîmes 2005 ; Création et schizophrénie, Galilée, Paris, 1989 ; L’Aliénation. Séminaire de Sainte-Anne, 10e année, ibid., 1992 ;La Psychose, l’institution, la mort, Hermann, Paris, 2008 ;Préalables à toute clinique des psychoses : dialogue avec Patrick Faugeras, Érès, Paris, 2012

J. Oury, F. Guattari & F. Tosquelles, Pratique de l’institutionnel et politique, Matrice, Vigneux, 1985

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J. Oury & M. Depussé,À quelle heure passe le train. Conversations sur la folie, Calmann-Lévy, Paris, 2003.

Études

G. Michaud, La Borde, un pari nécessaire, Gauthier-Villars, Paris, 1977

J.-C. Polack & D. Sivadon-Sabouin, La Borde ou le droit à la folie, Calmann-Lévy, Paris, 1976.

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Écrit par

  • : psychanalyste, ancien psychiatre des hôpitaux, professeur à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot

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