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PAUVERT JEAN-JACQUES (1926-2014)

« Ainsi, Monsieur, vous voulez travailler dans le livre ? » L'adolescent qu'interroge ainsi Gaston Gallimard est Jean-Jacques Pauvert. Né le 8 avril 1926 à Paris, élève médiocre mais passionné de littérature, il commence à travailler à quinze ans à la librairie Gallimard, sur la recommandation de son père. Là, il rencontre nombre d'auteurs de la N.R.F. : Camus, Queneau, Paulhan… De temps à autre, il se livre aussi, pour son compte personnel, au courtage de livres rares. Avec ses premiers salaires, il achète un lot de livres sulfureux, comprenant Le Con d'Irène, d'Aragon ; Histoire de l'œil, de Georges Bataille, et Les 120 Journées de Sodome de Sade, édités hors commerce. Le texte du « divin marquis » l'ébranle. Avait-on jamais rien écrit d'aussi outrageant ? En 1945, il fonde les Éditions du Palimugre, édite une plaquette de Sartre, sans oublier Sade – ce « bloc d'abîme », comme le dira Annie Le Brun. En 1947, à l’âge de vingt et un ans, il publie Histoire de Juliette, premier volume de son édition intégrale des œuvres de l’écrivain. Il est le premier éditeur à publier Sade sous son nom.

Ainsi naît la légende Pauvert. Poursuivi pour outrage aux bonnes mœurs en 1956 comme éditeur de Sade, il est condamné en première instance à une forte amende et à l'obligation de détruire les livres incriminés. Mais il bénéficie du sursis en appel et les livres échappent au pilon. Il sera par la suite l’objet d’une vingtaine de procès, et nombre de ses ouvrages se verront interdits aux mineurs.

Celui que Françoise Lefèvre considérera comme la « Pierre noire de l'édition » par son « génie de la découverte et de la provocation » conçoit l'édition comme n'étant « que rencontres, pour l'essentiel » d'auteurs vivants ou oubliés qu'il apprécie. À l'hiver de 1953-1954, Jean Paulhan lui parle d'un manuscrit qu'il serait le seul à oser publier : son titre est Histoire d'O. Enthousiasmé, Pauvert donne aussitôt son accord. L'auteur, qui signe sous le pseudonyme de Pauline Réage, tient à rester masquée et ne se dévoilera que quarante ans plus tard : il s'agit de Dominique Aury, secrétaire générale de la N.R.F. Le silence complet dans lequel est accueilli ce livre sera rompu en 1955 par l'attribution du prix des Deux-Magots. Pauvert crée la Bibliothèque internationale d'érotologieet publie Le Bleu du ciel (1957) puis Les Larmes d'Éros (1961), de Georges Bataille.

Né parmi les livres, Jean-Jacques Pauvert en a le goût physique : typographie, mise en page, reliure, qualité du papier et illustrations sont soignées et originales. Grâce à des graphistes comme Jacques Darche et Pierre Faucheux, le livre-objet vient matérialiser le texte. Cela donne l'étonnante réédition du Littré dans un format étroit et allongé ; ou la collection Libertés, dirigée par Jean-François Revel, à la couverture en papier kraft. De nombreux dessinateurs se révèlent dans sa revue Bizarre. Pauvert va aussi donner une seconde vie à des textes comme Le Voleur, de Georges Darien, dont la gravure qui illustre la couverture deviendra l’enseigne de sa maison d'édition. Il relancera les œuvres de Boris Vian, dont il sera le principal éditeur, reprenant à Gallimard L'Écume des jours en 1963. Cette même année, il commence à publier les Œuvres complètes de Raymond Roussel. Il publie bien d'autres auteurs passés à la postérité, comme Pierre Klossowski (Le Bain de Diane, 1956), André Pieyre de Mandiargues (Beylamour, 1965), ou André Hardellet (Lourdes, lentes…, 1969). En 1965, il édite L'Astragale et La Cavale, deux manuscrits d'une inconnue de vingt-huit ans, ancienne prostituée et prisonnière évadée, Albertine Sarrazin, qui obtient le prix des Quatre-Jurys en 1966. C'est au cours de cette période[...]

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Écrit par

  • : bibliothécaire, chargé de collections en bibliothéconomie et littérature française du xxe siècle à la Bibliothèque nationale de France

Classification

Pour citer cet article

Sylvain PAPAVERO. PAUVERT JEAN-JACQUES (1926-2014) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • DEFORGES RÉGINE (1935-2014)

    • Écrit par Véronique HOTTE
    • 634 mots
    • 1 média

    « J’ ai longtemps rêvé d’être une enfant trouvée… fille de roi, peut-être… Mais je suis née à Montmorillon, petite ville du Poitou, au domicile de ma grand-mère paternelle, Blanche Peyon, le jeudi 15 août 1935 », écrit Régine Deforges dans ses Mémoires, L’Enfant du 15 août...

  • ÉROTISME

    • Écrit par Frédérique DEVAUX, René MILHAU, Jean-Jacques PAUVERT, Mario PRAZ, Jean SÉMOLUÉ
    • 19 774 mots
    • 7 médias
    ...y sont désormais systématiquement condamnés. Sous l'influence puritaine de l'U.R.S.S., la presse communiste mène de grandes campagnes moralisatrices. Un jeune éditeur, Jean-Jacques Pauvert, ayant commencé ouvertement en 1947 la publication intégrale des œuvres complètes de Sade (pour la première fois...

Voir aussi