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BAUDOUIN DE COURTENAY JAN (1845-1929)

Après des études à Prague, Berlin, et Iéna, le linguiste polonais Jan Baudouin de Courtenay enseigna à Kazan, Cracovie et Saint-Pétersbourg ; son influence sur la linguistique russe fut considérable ; il est considéré comme le précurseur de la phonologie. Le centre de ses réflexions et de son enseignement était l'hiatus entre les progrès, évidents à l'époque, de la phonétique expérimentale et l'incapacité où celle-ci se trouvait de dire pourquoi certains sons articulatoirement différents (ce qu'on appellera plus tard en phonologie les variantes d'un phonème) constituent malgré tout une seule unité linguistique. Pour tenter de répondre à cette question, Courtenay proposa de distinguer entre ce qu'il appelait la « physiophonétique » (ce que nous appelons aujourd'hui la phonétique) et la « psychophonétique », dans laquelle certains ont cru pouvoir déceler la phonologie moderne (Versuch einer Theorie phonoetischer Alternationen. Ein Kapitel aus der Psychophonetik, 1895). En fait, la principale idée de Baudouin de Courtenay était que la linguistique devait essentiellement s'attacher à la façon dont les sons du langage sont perçus sans tenir compte de leur aspect physique, abandonné à la physiophonétique. Il y avait là un pas important vers la phonologie ; toutefois, la perception des sons par les locuteurs d'une langue n'étant pas exactement parallèle à l'analyse différentielle que l'on peut faire de ces sons, la psychophonétique n'était qu'une approche de l'abstraction sur laquelle s'est ensuite élaborée la phonologie. Cela n'enlève rien à l'importance historique de l'œuvre de Courtenay. Ferdinand de Saussure regrettait qu'il ne fût pas plus connu ; son élève L. V. Chtcherba continua ses recherches et c'est par son intermédiaire que l'école de linguistique de Saint-Pétersbourg reçut l'héritage de Courtenay (voir par exemple Chtcherba, Russkie glasnye v kačestvennom i količestvennom otnošenii, 1912). Cependant la diffusion des travaux de Courtenay souffrit de l'hypothèse marriste dont s'encombra longtemps la linguistique soviétique, et ce n'est qu'après l'abandon définitif des théories de N. Marr, vers 1950, que furent publiés à Moscou les textes épars de Baudouin de Courtenay et surtout les textes de Chtcherba sur son maître.

La phonologie structurale, qui se constitua à la fin des années 1920 autour du cercle de Prague, doit beaucoup à Baudouin de Courtenay. On en trouve d'ailleurs le témoignage chez Troubetskoy, dans sa note autobiographique, lorsqu'il écrit : « Je m'éloigne de plus en plus de Baudouin, ce qui est naturellement inévitable. Il me semble toutefois que si on laissait de côté les définitions avancées par Baudouin [...] on verrait que nos points de vue d'aujourd'hui [...] continuent de développer les systèmes en question, loin de les contredire » (Principes de phonologie, 1957), ou encore dans ce passage cité par G. Mounin : « Les deux seuls linguistes d'avant-guerre pour lesquels le système phonologique n'était pas le produit plus ou moins fortuit, inattendu (et par conséquent illégitime) d'une synthèse mais le point de départ de l'investigation et un des principes fondamentaux de la méthode étaient F. de Saussure et J. de Courtenay. » Baudouin de Courtenay est en effet incontestablement, avec Saussure à qui il emprunta d'ailleurs la notion de phonème, un des ancêtres de la phonologie moderne. Ses recherches sont cependant restées méconnues, sauf dans un petit cercle d'initiés. Pour plusieurs raisons : son vocabulaire était hermétique, ses publications, essentiellement des articles, étaient dispersées dans diverses revues et, enfin, les linguistes qui avaient les plus grandes facilités d'accès à son œuvre, les linguistes soviétiques, l'ont pendant de[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres et sciences humaines, professeur à la Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Louis-Jean CALVET. BAUDOUIN DE COURTENAY JAN (1845-1929) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • TROUBETZKOY ou TROUBETSKOÏ NIKOLAÏ SERGUEÏEVITCH (1890-1938)

    • Écrit par Louis-Jean CALVET
    • 923 mots

    Né à Moscou dans une famille de la haute aristocratie, de père universitaire, Troubetzkoy s'intéresse très tôt (dès l'âge de treize ans) à l'ethnographie, puis à la sociologie et à l'histoire : ses premiers articles sont publiés alors qu'il est à peine âgé de quinze ans. Il entre à l'université,...

Voir aussi