INHIBITION (psychologie)
L’inhibition est une forme de contrôle qui nous permet de résister aux habitudes ou automatismes, aux tentations, distractions ou interférences. L’idée selon laquelle l’inhibition est un processus central de l’adaptation n’est pas nouvelle dans les sciences de l’esprit et du cerveau, mais elle a connu un regain général d’intérêt en psychologie cognitive depuis les années 1990.
La capacité d’inhibition dépend du cortex préfrontal, en particulier le cortex préfrontal inférieur droit (ou cortex orbito-frontal) et l’insula antérieure, juste voisine. Si cet épicentre cérébral de l’inhibition fait consensus dans les méta-analyses d’imagerie cérébrale, il faut toutefois considérer son action sur l’ensemble du cortex, dans le cadre d’un espace neuronal de travail global, comme le fait aujourd’hui Stanislas Dehaene pour définir le « Code de la conscience ». Selon cette approche, les neurones actifs du cortex préfrontal propagent leurs messages au reste du cerveau, en envoyant des potentiels d’action via des axones longs. En de nombreux endroits, ces signaux contactent des neurones inhibiteurs afin de « faire taire » des groupes entiers de neurones. Une idée consciente est ainsi codée par de petites assemblées neuronales actives, entourées de vastes populations de neurones inhibés. Pour le contrôle moteur, le rôle des noyaux gris centraux est aussi démontré.
En psychologie cognitive, l’inhibition a été initialement étudiée dans le domaine de l’attention sélective. Cette dernière a d’abord été considérée comme une fonction d’activation. De ce point de vue, après un traitement initialement automatique d’une scène perceptive, l’information pertinente est sélectionnée (précocement ou tardivement selon la place du « filtre sélectif » dans la séquence des traitements) par un mécanisme attentionnel d’activation, de facilitation. Dès ce moment, l’information non pertinente à ignorer se dissipe passivement dans le temps. Par rapport à cette conception classique, une analyse alternative s’est ensuite imposée : celle de l’attention-inhibition. Selon cette analyse, le mécanisme essentiel de la sélection attentionnelle est l’inhibition, ou blocage actif, de l’information non pertinente. Dans ce cas, le traitement cognitif de l’information pertinente, ultérieur à la sélection, ne s’opère pas en raison d’une activation-facilitation spécifique, mais du fait qu’il n’y a plus d’interférence avec l’information non pertinente inhibée.
Pour le psychologue, la question est de savoir comment distinguer expérimentalement ces deux modalités possibles de sélection attentionnelle. Le paradigme mis au point par Steven Tipper, dans ce cadre, est l’amorçage négatif (negative priming). Soit une situation où le sujet doit dans une première phase (a) répondre en fonction de S1 (le stimulus pertinent) en ignorant S2 (le stimulus non pertinent). Supposons, dans une seconde phase (b), que le sujet, sans qu’il s’y attende, doive répondre en fonction de S2 ou, dans une autre condition, en fonction de S3 (un nouveau stimulus). Selon la conception de l’attention-activation, lors de la première phase de la procédure (a), S2 doit se dissiper passivement dans le temps. Si l’effet de S2 n’est pas encore complètement dissipé en mémoire lors de la seconde phase de la procédure (b), alors le traitement de S2 (qui est devenu le stimulus pertinent) doit être facilité par rapport à celui de S3 : c’est l’amorçage positif (priming effect), généralement mesuré en chronométrie mentale par une réduction du temps de réaction. Toujours selon la même conception, si l’effet initial de S2 est totalement dissipé en mémoire lorsqu’on passe à la seconde phase de la procédure, alors le traitement de S2 ne doit pas différer de celui de S3. L’autre point de vue, celui de l’attention-inhibition, conduit à une prédiction inverse. Dans ce cas, S2 étant initialement inhibé, c’est-à-dire activement bloqué, son effet ne subsiste aucunement en mémoire. Dès lors, S2 doit être plus difficile à traiter (temps plus long) que S3 en raison de son inhibition préalable : c’est l’amorçage négatif.
De très nombreux travaux de psychologie cognitive ont confirmé l’existence, chez l’adulte, de ce phénomène dans des situations variées : tâches d’identification (dénomination d’images, de mots, identification de lettres), tâches de catégorisation (catégorisation sémantique, décision lexicale), tâches d’appariement (appariement de lettres, de formes), tâches de comptage, de localisation spatiale, etc. ; et, dans les années 2010, en psychologie cognitive du développement de l’enfant, dans des tâches logico-mathématiques piagétiennes, revisitées du point de vue du rôle clé de l’inhibition des indices perceptifs (conservation du nombre, inclusion des classes), dans des tâches de raisonnement logique (syllogismes) pour l’inhibition des biais sémantiques de croyance, ou encore dans des tâches très scolaires : par exemple, la lecture pour l’inhibition de la généralisation en miroir face à des lettres de type b ou d.
Le rôle central de l’inhibition est donc établi et généralisé dans de nombreuses tâches qui ont en commun la difficulté de devoir résister à des automatismes, distractions ou interférences. Mais existe-t-il un mécanisme unique d’inhibition ou plusieurs ? Il a été proposé de subdiviser les processus inhibiteurs selon les dimensions de l’interférence à laquelle il faut résister : la source (interne ou externe), la direction (en avant, en arrière ou simultanée) et la forme psychologique (motrice, perceptive, verbale). Dans l’orientation attentionnelle, une forme d’inhibition dite « de retour » a été spécifiquement décrite. Il s’agit d’un temps supplémentaire que nous mettons à retourner (rediriger le regard) vers un endroit de l’espace précédemment inhibé en raison de l’absence trop longue de l’apparition d’une cible. Cette forme d’inhibition encourage et facilite, par la sélection qu’elle opère, l’exploration visuelle des nouveautés dans l’environnement. Le rôle d’optimisation de l’inhibition dans la mémoire de travail (MDT) a également été documenté : il consiste à contrôler l’information spécifique qui entre en MDT, mais aussi celle qui est supprimée et les réponses possibles mais non correctes qui viennent à l’esprit. De façon voisine, le rôle de l’inhibition a été précisé dans le catalogue des fonctions exécutives : la mise à jour en MDT, la flexibilité cognitive (switching) et l’inhibition des informations non pertinentes et des réponses dominantes. L’inhibition peut donc prendre des formes plurielles et se révèle importante à considérer tant pour l’attention et la mémoire que pour l’action conjointe des fonctions exécutives.
Cependant, le contrôle inhibiteur est-il toujours conscient ? Il a été démontré dans les années 2010 qu’un signal « stop » présenté en dessous du seuil de perception consciente, soit un ordre subliminal, déclenche dans notre cerveau un ordre d’inhibition motrice, vial’insula antérieure (épicentre de l’inhibition) et l’aire motrice présupplémentaire. Il existe donc un contrôle non conscient de l’action. Cela restait à démontrer pour des tâches cognitives de plus haut niveau, en relation avec la question, encore peu explorée, de l’automatisation de l’inhibition au cours de l’apprentissage et du développement.
Bibliographie
G. Borst, S. Moutier& O. Houdé, « Negative priming in logicomathematical reasoning : the cost of blocking your intuition », in New Approaches in ReasoningResearch, Psychology Press, New York, 2013
S. Tipper, « Does negative priming reflect inhibitory mechanisms ? », in Quarterly Journal of Experimental Psychology, n° 54A, p. 321, 2001.
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Écrit par
- Olivier HOUDÉ : professeur de psychologie du développement, université Paris Descartes
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