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IMAGISTES

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La doctrine

Des talents et des tempéraments si divers ont laissé leur marque sur l'imagisme qu'il serait vain de vouloir en réduire les théories à une formule cohérente. Il s'agit surtout de secouer le joug du passé, de se débarrasser des attitudes et clichés victoriens, de forger un langage poétique nouveau capable d'exprimer des émotions personnelles en face d'un monde incertain et divisé. Le mouvement symboliste avait, en France, donné l'exemple d'une révolution poétique fondée sur la force et l'originalité de l'image, et le pouvoir de transcendance du symbole. Les imagistes voulurent à leur tour rendre à l'image tout son pouvoir poétique, mais ils n'étaient guère d'accord sur le sens de ce pouvoir, et les moyens de le mettre en œuvre.

Classique par tempérament, Hulme voulait que le « vers ressemble à la sculpture plutôt qu'à la musique » (Further Speculations, 1955). On croirait entendre Théophile Gautier. Il affirme que la poésie doit faire progresser la langue en créant de nouvelles analogies. (C'est la position d'Eliot.) Pour F. M. Ford, le poète doit écrire dans la langue de son temps, c'est-à-dire éviter les clichés et les affectations de la langue écrite (c'est aussi le credo d'Eliot). Pour Amy Lowell, dans sa préface au recueil de 1916, c'est le rythme et la cadence qui comptent : elle veut une poésie plus proche de la musique, et prône le vers libre comme l'instrument le plus propre à assurer l'invention rythmique.

Mais le corps essentiel de la doctrine est donné dans une série de notes et d'essais de Pound, réimprimés dans ses Literary Essays sous le titre général A Retrospect. L'ensemble contient les déclarations de l'été 1912, faites en commun avec Aldington et H. D., et les célèbres Don'ts de mars 1913. Trois principes doivent guider le poète : traiter directement « la chose », qu'elle soit subjective ou objective ; bannir absolument tout mot inutile à la présentation ; quant au rythme, composer une séquence comme une phrase musicale, et non au battement du métronome.

En ce qui concerne « l'image », voici sa définition : « Une image est ce qui présente un complexe intellectuel et émotionnel dans une fraction de temps. » Le mot « complexe » a un sens technique, comme dans la psychologie contemporaine. C'est le caractère instantané de la présentation de ce « complexe » qui assure au poète sa libération des limites du temps et de l'espace, et produit les grandes œuvres. Il vaut mieux, ajoute Pound, produire une image dans sa vie qu'une œuvre volumineuse.

Donc, pas de mot superflu, pas d'adjectif sans valeur, pas de mélange d'abstrait et de concret – l'objet naturel est en soi un symbole –, pas de vocabulaire « décoratif » (un cliché plaqué sur le réel), et n'oubliez pas que l'art du poète est aussi difficile que celui du musicien... Les recommandations sont nombreuses, fragmentaires, et bien de nature à embarrasser le lecteur, même s'il n'ambitionne pas d'être poète. À son habitude, Pound, qui fourmille d'idées, écrit comme il parle, comme il « pense ». Ses injonctions, qui voulaient faire loi, ne sont pas toujours cohérentes. Elles étaient parfois, au dire de Flint, parfaitement stupides. Mais Flint avait des comptes à régler avec Pound !

Les préfaces aux recueils de 1915-1916-1917, pour être moins impératives sont plus explicites sur les principes. On y retrouve le souci du mot juste, le goût de rythmes nouveaux (vers libre), la nécessité d'une liberté absolue pour le choix du sujet, la prééminence de l'image, nette, précise, claire, et l'idée centrale que « la concentration est l'essence même de la poésie ». Amy Lowell mettra l'accent sur le rythme et la cadence, impressionnée qu'elle est par les jeux[...]

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Écrit par

  • : doyen honoraire de la faculté des lettres et sciences humaines d'Aix-en-Provence

Classification

Pour citer cet article

Henri FLUCHÈRE. IMAGISTES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Médias

Ezra Pound - crédits : David Lees/ Corbis/ VCG/ Getty Images

Ezra Pound

T. S. Eliot - crédits : Bettmann/ Getty Images

T. S. Eliot

Autres références

  • ALDINGTON RICHARD (1892-1962)

    • Écrit par
    • 346 mots

    Né dans le Hampshire, Aldington fit ses études à Dover College et à l'université de Londres où il n'obtint aucun grade. Talent précoce en poésie, il fait partie du groupe des imagistes (fondé par Ezra Pound) ; en 1913, il est rédacteur-adjoint du périodique qui diffuse leur doctrine,...

  • CANADA - Arts et culture

    • Écrit par , , , , , et
    • 24 894 mots
    • 3 médias
    Depuis les années 1920, Montréal était devenu un centre d'activité poétique, grâce à l'influence d'imagistes tels qu'Ezra Pound mais aussi grâce à l'esprit novateur de la revue littéraire The McGill Fortnightly Review (fondée en 1925), de jeunes poètes comme Raymond...
  • DOOLITTLE HILDA, dite H. D. (1886-1961)

    • Écrit par
    • 671 mots

    Poète et femme de lettres américaine née le 10 septembre 1886 à Bethlehem (Pennsylvanie), morte le 27 septembre 1961 à Zurich (Suisse).

    Hilda Doolittle, fille d'un astronome et d'une pianiste, est élevée dans la stricte tradition morave de sa famille maternelle. Elle tient de son père son héritage...

  • ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - La littérature

    • Écrit par , , , , , , et
    • 40 118 mots
    • 25 médias
    ...que la poésie américaine commence de s'affranchir. L'immense énergie d'Ezra Pound propage en effet parmi ses correspondants demeurés au pays la fièvre «  imagiste ». Même si la théorie originelle de T. E. Hulme et de son « école des images » subit des altérations lorsque Amy Lowell reprend aux États-Unis...