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ILLETTRISME

Le terme illettrisme, apparu il y a moins d’un demi-siècle en France, mais rarement utilisé dans les autres pays de langue française, est censé désigner l’état des personnes adultes qui ont quitté l’école en disposant de très faibles capacités de lecture et d’écriture ou qui sont devenues « illettrées » par manque de pratique. Plus récemment, sont apparues aussi des références à des « sous-lettrés », dont les capacités seraient supérieures à celles des illettrés, mais insuffisantes pour assurer un niveau de performance en lecture et en écriture cohérent avec leur situation ou leurs espérances professionnelles.

Ces catégories sont insatisfaisantes pour deux raisons : parce qu’elles ne se fondent sur aucune description précise, encore moins empiriquement validée et évaluée, des capacités en question ; et parce que les termes utilisés ne sont justifiés ni par une théorie cognitive ni par des arguments linguistiques. L’illettré étant celui qui n’est pas lettré, la négation de « lettrisme » ne tient pas compte du fait que ce mot désigne déjà un courant littéraire. Plus problématique encore, le terme illettré devrait désigner l’adulte qui ne sait ni lire ni écrire, généralement parce que, n’ayant jamais été scolarisé – ou trop brièvement ou pauvrement –, il n’a jamais acquis les habiletés correspondantes (on dit de l’enfant, avant qu’il n’apprenne à lire et à écrire, qu’il est prélettré).

Le terme lettrisme prêtant à confusion, il n’existe pas actuellement en français de mot qui se référerait, de manière unanime, à la capacité spécifique du lettré. Les termes « littératie » et « illittératie », proposés d’abord au Québec sous l’influence de l’anglais, sont ainsi devenus les plus utilisés dans le domaine par les spécialistes francophones.

Fondamentalement, la simple dichotomisation lettré-illettré n’est pas cohérente avec la connaissance scientifique que nous avons des processus de lecture et d’écriture chez le lecteur et le scripteur expert, et de leur développement. Dans le cas particulier de la littératie alphabétique, on distingue deux niveaux d’habileté. Le niveau de base se caractérise par des processus essentiellement contrôlés qui utilisent des connaissances conscientes et des opérations intentionnelles : en lecture, décodage de l’écrit en phonèmes et recodage de ceux-ci en parole (orale ou interne) ; en écriture, analyse des constituants phonologiques des mots suivie de l’association aux graphèmes correspondants. Ces mécanismes assurent une lecture et une écriture autonomes, mais lentes et sujettes à des erreurs. Leur pratique assidue permet en principe d’atteindre le niveau expert, lequel se caractérise par des processus automatiques, et donc très rapides, d’activation des représentations orthographiques et phonologiques des mots, tant dans la lecture que dans l’écriture. L’apprenant devient lettré autonome après environ un an et expert en deux à quatre ans supplémentaires.

L’illettré peut donc être considéré comme celui qui n’a pas atteint un niveau suffisant d’habileté lui permettant de lire et écrire avec autonomie. Certaines études expérimentales sur l’impact cognitif et langagier de l’acquisition de la lecture et de l’écriture comparent des adultes lettrés (souvent experts) à des adultes illettrés au sens le plus fort de ce terme : ceux-ci n’ont jamais appris à lire et à écrire et, vivant dans une société lettrée, connaissent les noms d’une partie des lettres, mais sont incapables de lire ou d’écrire des mots. Ces lettrés experts et ces illettrés complets (ces derniers sont appelés « analphabètes » dans les pays qui utilisent le système alphabétique d’écriture) sont parfois comparés à des adultes qui ont été des illettrés complets, mais qui, déjà adultes, ont appris à lire et à écrire dans des classes spécifiquement destinées à ce but.[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite de l'université libre de Bruxelles (Belgique)

Classification

Pour citer cet article

José MORAIS. ILLETTRISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ALPHABÉTISATION

    • Écrit par Béatrice FRAENKEL, Léon GANI, Aïssatou MBODJ
    • 8 963 mots
    Dans les pays développés,la notion d'illettrisme a été avancée pour désigner la situation de ceux qui, ayant été scolarisés, se révèlent incapables d'utiliser leurs connaissances pour répondre à certaines exigences minimales de la vie quotidienne (lecture et compréhension d'un mode d'emploi ou d'un...

Voir aussi