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ZILLE HEINRICH (1858-1929)

S'il est un artiste dont la gloire locale n'a d'égale que l'ignorance où le reste du monde l'a relégué, c'est bien Heinrich Zille, le dessinateur du Berliner Milliöh. Le « milieu » berlinois, ce n'est pas le monde des gangsters, encore que Zille ait eu une sympathie certaine pour les escarpes et les putains ; c'est le petit peuple de cette grande ville poussée tout d'un coup à la fin du xixe siècle pendant les Gründerjahre (années de formation de l’Empire allemand) et qui a su inventer une manière de vivre, un humour bien à lui, organiser des jeux pour les pauvres et des festivités sans apprêts dans une société rigide pour ne pas dire disciplinaire et dans un environnement géographique très rude.

Heinrich Zille, qui est né en 1858 près de Dresde d'un père artisan, arrive à Berlin à l'âge de neuf ans ; il habite dans les quartiers du nord puis de l'est, et y reçoit sa première formation artistique chez un maître de dessin. Incapable d'assommer le mouton qu'il avait amené sur le billot, il ne sera pas le boucher que son père souhaitait qu'il devînt et entrera comme apprenti dans un atelier de lithographie, une technique qui a la faveur des artistes. Sa formation sera principalement une initiation aux métiers manuels ; il exercera ceux de forgeron, serrurier, horloger, orfèvre..., et c'est en autodidacte que cet esprit curieux découvrira les littératures allemande et étrangère.

Celui dont les dessins décorent nombre de Kneipen (bistrots) berlinoises, depuis les murs jusqu'aux sous-bocks, restera fidèle toute sa vie, même lorsqu'il sera devenu un artiste reconnu, aux petites gens de Berlin qu'il observera et dessinera sur le vif, souvent avec une rapidité qui tient de l'instantané photographique et donne à ses dessins, que ce soit des dessins au trait ou des dessins estompés, une animation caractéristique. On trouve dans son œuvre beaucoup de dessins au fusain ou à la craie et très peu de dessins à la plume ; l’épaisseur de son trait n’est pas sans parenté avec le coup de pinceau des expressionnistes. Ainsi d’un dessin de 1911, discrètement antimilitariste, qui montre un soldat cul-de-jatte se déplaçant sur une planche à roues à l’aide de fers à repasser. Berlin connaît depuis longtemps une tradition de dessin réaliste, consacré à la vie urbaine. Le grand ancêtre est Daniel Chodowiecki (1726-1801) que Lichtenberg comparait à Hogarth, Wilhelm Meil (1733-1805) créera la figure toujours populaire du Eckensteher Nante (le badaud Nante) puis Theodor Hosemann (1807-1875) prolongera cette lignée des dessinateurs de la vie moderne et prodiguera ses conseils au tout jeune Zille.

Zille exercera un travail alimentaire à la Photographische Gessellschaft, qui se consacre surtout à la photogravure, et où il restera trente ans. Il collabore à d'innombrables revues, dont Simplicissimus est la plus célèbre ; il leur propose ses scènes de la vie berlinoise : les Mietskasernen (cités-casernes) où le prolétariat est entassé dans des bâtiments si serrés les uns contre les autres que la lumière n'y pénètre qu'avec parcimonie, les enfants en train de jouer (ces enfants qui tiennent une place si importante dans son œuvre), les enseignes des boutiques, les accumulations comiques de panneaux d'interdictions diverses dont Berlin a toujours été recouvert, les débuts des loisirs avec une prédilection pour les joies de la baignade que les Berlinois découvrent alors, les champs de foire, les scènes d'ivrognerie, l'attente des prostituées à l'entrée des Mietskasernen... Zille a traité le thème de la misère avec beaucoup de pudeur, sans pouvoir néanmoins toujours résister aux facilités de l'esprit blagueur qu'attendaient de lui ses amateurs. Mais sa compassion ne fait pas de doute et on ne la sent jamais aussi bien que dans ses œuvres teintées d’humour noir, comme dans ce[...]

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Pour citer cet article

Jean-François POIRIER. ZILLE HEINRICH (1858-1929) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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