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MARTINSON HARRY (1904-1978)

Le poète et romancier suédois Harry Martinson fut l'une des figures les plus attachantes du xxe siècle littéraire suédois. Le prix Nobel qui était venu couronner tardivement sa carrière, en 1974, conjointement avec son homologue et compatriote Eyvind Johnson, ne consacrait pas seulement l'écrivain « prolétaire », mais aussi un poète fort original et un humaniste d'une émouvante générosité.

On appelle, en Suède, écrivains prolétaires tout un groupe de poètes et romanciers sortis du petit peuple, autodidactes mais non nécessairement populistes ni engagés politiquement, qui se firent un nom, en littérature, entre les deux guerres. Martinson coïncide exactement avec cette définition. Il est né et a grandi à Jämshög, dans le Blekinge, dans le sud de la Suède. Il perd son père en 1910, sa mère s'enfuit en Amérique en 1911 : lui et ses nombreux frères et sœurs seront confiés aux bons soins de la paroisse et donc transportés de maison en maison. Enfance dure et sans affection qui ne parait pourtant pas avoir ôté au jeune Harry une profonde joie de vivre. Il dira lui-même qu'il sut trouver deux refuges : la nature et les livres.

Dès 1919, et pour huit ans (la tuberculose seule le ramènera à terre), il s'embarque, se fait marin, soutier, chômeur, vagabond, « nomade autour du monde » selon ses propres termes, découvrant, en particulier, l'Amérique du Sud et l'Inde. Lors de ses fréquentes, et parfois longues escales en Suède, il publie déjà des poèmes dans des feuilles anarchistes et syndicales : y éclate le caractère le plus immédiatement visible de son style, un don de fantaisie et une indépendance verbale que bien peu de ses compatriotes partagent avec lui.

En 1929, il épouse Moa Swartz, qui sous le nom de Moa Martinson, sera également un des grands écrivains de la même tendance « prolétaire ». Cette même année, il fait paraître son premier recueil de poèmes, Le Vaisseau fantôme (Spökskepp) où l'on salue au passage les influences de Kipling et de Dan Anderson et qui, dans la manière semi-autobiographique caractéristique de la première partie de son œuvre, résume ses expériences tout en dépeignant ses amours : la nature, la mer. Simplicité relative de la forme et goût du concret sont aussi la marque des morceaux qu'il confie à la célèbre anthologie Cinq Jeunes (1929) et surtout du premier recueil à succès, Nomade (1931). S'y développe un don de l'image cueillie avec un rare bonheur au détour d'un vers : par là, un élément nouveau pénètre dans la poésie suédoise. Martinson dessine et peint d'ailleurs en même temps, au point d'hésiter entre celui de ces arts qu'il choisira de cultiver. Et Nature (1934), dans le goût surréaliste, est d'abord une collection de ces croquis.

Avec Voyages sans but (Resor utan mål, 1932) et Cap Farväl (1933), qui font le bilan des années passées en mer, Martinson s'essaie à la prose poétique. Le réalisme, souvent teinté d'humour cocasse, la soif de nouveauté en font le prix. Mais surtout, cet idéaliste épris de réflexion philosophique volontiers utopiste y propose une règle de vie, ce « nomadisme autour du monde », seul moyen pour l'homme moderne d'échapper au culte de l'ego et aux divers fanatismes actuels, le nationalisme spécialement. Dans ces volumes se mêlent reportages, échappées philosophiques, réflexions sociales, notations exotiques et développements lyriques.

Martinson se confie plus ouvertement encore dans son autobiographieLes chardons fleurissent (Nässlorna blomma, 1935) et sa suite Sortie (Vägen ut, 1936). S'il y excelle à reconstituer la vision enfantine du monde, il y fait preuve d'une étonnante fantaisie langagière qui parvient à rénover une langue éprise de tradition. Sous la pression de l'actualité, l'inspiration s'infléchit pour faire place à des préoccupations[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Régis BOYER. MARTINSON HARRY (1904-1978) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • PROLÉTAIRES ÉCRIVAINS SCANDINAVES dits

    • Écrit par Régis BOYER
    • 3 238 mots
    On pourrait en dire autant de Harry Martinson (1904-1978), enfant misérable, confié aux soins de sa paroisse, que la poésie a sauvé de toutes les angoisses, comme il le note dans Les orties fleurissent (1935). D'abord marin, il contracte la tuberculose. Il note ses impressions de voyages dans ...
  • SUÈDE

    • Écrit par Régis BOYER, Michel CABOURET, Maurice CARREZ, Georges CHABOT, Universalis, Jean-Claude MAITROT, Jean-Pierre MOUSSON-LESTANG, Lucien MUSSET, Claude NORDMANN, Jean PARENT
    • 35 770 mots
    • 19 médias
    ...la vie simple, la veine individualiste strindbergienne. Relèvent de cette tendance, entre autres, Arthur Lundkvist (1906-1991), avec Flamme (1928), et Harry Martinson (1904-1978), marin et voyageur à la Paul Morand dans Voyages sans but (1932), romancier du Chemin de Klockrike (1948) et poète qui sut...

Voir aussi