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HARPAGON

L'une des créations les plus fortes de Molière, Harpagon, appartient à cette catégorie de personnages qui sont passés à la postérité.

Molière a trouvé dans Euclion (La Marmite, de Plaute) le modèle de son avare. En l'appelant Harpagon, il lui donne un nom d'injure à l'intention des maîtres rapaces. De scène en scène, détail par détail, avec de plus en plus de relief jusqu'à l'aboutissement du fameux monologue, il dresse son portrait.

Homme de soixante ans avoués, Harpagon est classé au xviie siècle dans la lignée des barbons. Ses habits sont loin de le rajeunir : il est vêtu d'un pourpoint démodé retenu aux chausses par des aiguillettes, moyen plus économique que les rubans ; il porte une collerette, la fraise, qui le fait ressembler aux contemporains d'Henri IV. À ce tableau s'ajoutent des lunettes, signe de décrépitude à son époque. Cette apparence minable est aggravée par une « fluxion » qui lui provoque des quintes de toux. Ce portrait physique annonce le caractère.

Au moral, son état n'est guère plus brillant : atteint d'un virus qui le ronge, celui de l'avarice, il est à la fois ladre et usurier. Ladre, il économise et resquille sur les dépenses quotidiennes de la maison, sur l'entretien de son fils, sur la livrée des domestiques, sur l'avoine des chevaux ; il va jusqu'à demander à dame Claude de ne « point frotter les meubles trop fort de peur de les user ». Usurier, Harpagon cherche par les moyens les plus malhonnêtes à récupérer de l'argent. Il emprunte pour prêter, ce qui l'oblige, dit-il, à faire monter le taux d'intérêt de cinq à vingt-cinq pour cent. De plus, il demande une partie de la somme en nature. Mais, ironie du sort, c'est son fils Cléante que les rabatteurs dirigent sur lui.

Colérique, violent, obstiné, Harpagon est, au dire de son valet, « de tous les humains l'humain le moins humain, le mortel de tous les mortels le plus dur et le plus serré ». Il ne trahit jamais ce jugement dans ses attitudes, que ce soit avec ses enfants ou avec sa jeune maîtresse. Voué à une mort prochaine par ceux-ci (dans huit mois, dit Cléante aux usuriers, dans trois mois, pense Mariane), il se croit éternel et se réjouit à l'idée de leur survivre. Ne cherchant que son propre intérêt, il veut donner sa fille « sans dot » au seigneur Anselme, « qui n'a pas plus de cinquante ans et dont on vante les grands biens », et son fils à une veuve, fortunée bien entendu. Pour sa part, il se réserve Mariane que le malheur a mis à sa merci et qu'il vole à Cléante. Ce qu'il désire en elle c'est la fraîcheur de ses vingt ans, pourvu que peu lui en coûte. Cette convoitise libidineuse pour un « tendron » est encore une forme d'avarice. Rival de son fils, il usurpe sa place : dans sa volonté de détruire, de sacrifier l'avenir au passé, la jeunesse à sa sénilité. Il s'escrime à immobiliser la vie comme son or.

Craint, haï et méprisé de tous, Harpagon vit en solitaire. Retranché de la société, il a pour seul ami en ce monde sa chère cassette, cet or à la merci de tout ce qui bouge et qui crée autour de lui une atmosphère d'inquiétude perpétuelle. Un chien aboie, peut-être en veut-il à son argent ? Cette cassette, plus qu'un objet, symbolise l'âme et le vice d'Harpagon.

Harpagon, personnage de comédie ou de tragédie ? Le débat reste ouvert. Molière, en forçant le portrait, l'a rendu ridicule : il devient comique parce qu'il est risible tant la terreur qu'il inspire est fabriquée. Harpagon « énigme », pense Jules Lemaitre. Peut-être, ou bien simplement fantoche grotesque par lequel Molière lance ses griffes contre l'usure et l'avarice.

— Hélène LACAS

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Hélène LACAS. HARPAGON [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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