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HAN GAN[HAN KAN](VIIIe s.)

« Blanc-qui-illumine-la-nuit » et « Palefrenier menant deux chevaux »

Han Gan étant considéré comme le plus grand maître du genre, depuis des siècles les faussaires ont pris l'habitude d'ajouter sa signature sur toutes les peintures de chevaux qui présentent une apparence d'ancienneté. Alors que ces impudentes falsifications se comptent par milliers, il ne reste guère de témoins sérieux pour étayer la connaissance de son art. Les catalogues Tang et Song ont conservé la mention d'une soixantaine de ses peintures (les œuvres mentionnées à l'époque Song – qui forment la majeure part de cette liste – devaient déjà comporter un certain nombre de faux) ; aujourd'hui seules subsistent deux œuvres d'une antiquité certaine et d'une haute qualité artistique, qui pourraient éventuellement correspondre à ces mentions des catalogues anciens : il s'agit de deux petites pièces, le portrait d'un destrier favori de l'empereur Xuanzong, Blanc-qui-illumine-la-nuit (collection sir Percival et lady David, Londres) et le Palefrenier menant deux chevaux (collection de l'Ancien Palais, Taiwan). Ces deux œuvres, qui portent l'une et l'autre des attestations de collectionneurs anciens, se signalent toutes deux par leur beauté, mais elles sont d'une facture si radicalement dissemblable qu'il semble exclu qu'elles puissent provenir de la même main, ni même être contemporaines. En ce qui concerne le destrier Blanc, le fait qu'il s'agit probablement d'une étude préparatoire ne suffit pas à expliquer un archaïsme fruste en complet contraste avec l'aisance souple et élégante du Palefrenier. Le destrier Blanc respire une puissance brute, éclate d'une irrépressible vitalité ; c'est un magnifique « portrait », au sens où l'on entendait cette notion sous les Six Dynasties : non point réplique minutieuse d'une apparence externe, mais saisie d'un caractère, extériorisation de la nature intérieure du sujet. Il y a dans cette œuvre une sorte de primitivité – qui en fait d'ailleurs la force et le mérite – apparemment incompatible avec le métier plus sûr, mais moins viril, de la peinture de l'Ancien Palais.

Du Fu, dans un poème où il faisait l'éloge d'un autre célèbre peintre de chevaux, Cao Ba, lequel fut peut-être le maître de Han Gan, dit que Han Gan « ne savait peindre que la chair et non les os, affligeant ainsi les plus fiers coursiers d'une physionomie dépourvue de vitalité ». Ce jugement, dont la sévérité a fort embarrassé les commentateurs ultérieurs, pourrait assez bien s'appliquer à la texture moelleuse et au modelé satiné des deux chevaux du Palefrenier. Mais peut-on entendre au pied de la lettre une assertion qui n'était peut-être motivée que par le désir de flatter Cao Ba (destinataire du poème) en dépréciant son rival plus heureux ? Zhang Yanyuan, le plus illustre connaisseur et critique de l'époque Tang, s'est d'ailleurs inscrit en faux contre ce jugement, et il admirait au contraire les chevaux de Han Gan pour leur intense dynamisme, qualité que l'on trouve mieux illustrée par le destrier Blanc. Qui croire de Du Fu ou de Zhang Yanyuan ? Pour départager ces deux témoins subjectifs, on ne dispose que de deux œuvres contradictoires et certaines. En fin de compte, il est parfaitement possible qu'aucune des deux peintures en question ne soit de Han Gan. Ainsi son art – comme c'est le cas pour la plupart des maîtres Tang – se dérobe irrémédiablement à toute enquête plus précise.

— Pierre RYCKMANS

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Écrit par

  • : reader, Department of Chinese, Australian National University

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Pierre RYCKMANS. HAN GAN [HAN KAN] (VIIIe s.) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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