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GUERRE EN DENTELLES

Guibert écrivait en 1790 : « Quand les nations elles-mêmes prendront part à la guerre tout changera de face ; les habitants d'un pays devenant soldats, on les traitera comme ennemis, la crainte de les avoir contre soi, l'inquiétude de les laisser derrière soi, les fera détruire. Ah ! c'était une heureuse invention que ce bel art, ce beau système de guerre moderne qui ne mettait en action qu'une certaine quantité de forces consacrées à vider la querelle des nations, et qui laissait en paix tout le reste, qui suppléait le nombre par la discipline, balançait les succès par la science et plaçait sans cesse des idées d'ordre et de conservation au milieu de cruelles nécessités que la guerre entraînait. »

« Ce bel art, ce beau système » dont parle Guibert, c'est ce que d'aucuns ont appelé la guerre en dentelles, une guerre de convenance entre chefs bien élevés, échangeant des politesses avant les premières salves — s'ils ne pouvaient éviter un combat coûteux — bref, faisant la guerre comme Buffon écrivait, en manchettes de dentelle.

Il est probable que les combattants de Malplaquet et de Denain, ou que ceux qui avaient participé à la retraite de Bohême sous Belle-Isle ne parlaient pas, eux, de guerre en dentelles quand ils évoquaient leurs souvenirs de combat. C'est par contraste avec les guerres de la Révolution et de l'Empire que celles du xviiie siècle ont pu paraître « en dentelles », et pour deux raisons.

Jusqu'au milieu du xviiie siècle, les armées se meuvent encore par masse monolithique, lente à la manœuvre et longue à se déployer ; il leur est difficile de se jeter sur l'ennemi. En effet, pendant qu'elles se mettent en ordre de bataille, celui-ci a le temps de se dérober. Risquer la bataille, c'est tout risquer. On ne la livre qu'avec la certitude de vaincre, sinon on esquive. D'où de multiples manœuvres, savantes et compassées, parfois sophistiquées. On peut même, par ces manœuvres, contraindre l'adversaire sans livrer bataille. Maurice de Saxe écrira qu'un habile général peut éviter la bataille pendant toute sa vie.

Deuxième explication : la guerre ne concerne pas alors la nation, car la notion de soldat-citoyen n'existe pas. C'est une guerre sans idéologie menée par des troupes dont le combat est le métier et qui coûtent cher au souverain, donc qui doivent être ménagées. Et parce que les objectifs de guerre sont plus dynastiques que nationaux, ils sont plus limités. La guerre n'est pas « totale » comme elle aura tendance à le devenir sous la Révolution et l'Empire. Elle n'est alors que « macabre jeu d'échecs » pour reprendre une expression de l'historien Albert Soboul.

— Jean DELMAS

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Écrit par

  • : docteur habilité à la recherche, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, ancien chef du service historique de l'Armée de terre

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  • FONTENOY BATAILLE DE (1745)

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