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FOUZOÛLÎ (1495 env.-env. 1556)

Poète et mystique de l'amour

De son œuvre en arabe, il ne subsiste, malheureusement, que de rares vestiges, recueillis dans un unique manuscrit connu : ce sont des vers lyrico-religieux. Ses vers persans, eux, ont été assez largement conservés, dans un recueil (Dīwān) d'inspiration très personnelle, qui nous éclaire sur sa vie, ses sentiments et ses conceptions intellectuelles et morales. Il y exprime, notamment, le regret de vieillir, l'amertume d'être peu compris, l'honneur d'être savant et la valeur de la méditation.

C'est surtout par son œuvre en turc, la plus abondante, consignée dans de très nombreux manuscrits (ottomans pour la plupart), que Fouzoûlî est justement fameux. Parmi une dizaine de titres célèbres, on retiendra son recueil de poèmes lyriques (Dīwān turc) et son vaste roman en vers, sommet de la poésie classique turque, Leylâ et Medjnoûn (Leylā wü-Medjnūn).

Le Dīwān turc de Fouzoûlî se compose essentiellement de poèmes érotico-mystiques d'une métrique savante, pleins d'allusions, de jeux de mots, de sens doubles ou triples, d'allégories qui permettent au lecteur de leur donner des valeurs diverses (auxquelles le poète a certainement pensé tout à la fois) : mysticisme éthéré, passion amoureuse (où les éphèbes jouent un rôle dominant), sensualité raffinée, élégante ironie. Les controverses ne cesseront pas de sitôt entre des interprétations contradictoires en apparence, mais que le poète eût sans doute presque toutes acceptées. Le style est étincelant, foisonnant d'images, et la langue, quoique fondamentalement turque, se pare de toutes les richesses savantes du vocabulaire arabe et persan.

L'œuvre majeure de Fouzoûlî, celle qui lui fait prendre rang parmi les plus grands poètes du monde islamique, est sans contredit son roman en vers Leylâ et Medjnoûn, achevé en 1535, et comprenant plus de trois mille distiques. Il reprend le thème célèbre d'une vieille légende arabe, celle d'un couple d'amoureux contrariés et fidèles jusque dans la mort, qui avait déjà inspiré de nombreux poètes persans ou turcs, tels Niẓāmī (xiie siècle), Djāmī ou ‘Alī Shēr (xve siècle). À travers les tribulations et les tourments psychologiques de Medjnoûn, qui devient fou d'être séparé de sa bien-aimée, et de Leylâ, que ses parents refusent de lui donner pour épouse en raison même de sa folie, Fouzoûlî exalte un amour platonique poussé aux extrêmes limites de la passion et refusant, au nom d'un idéal de pureté, toute forme, même sublimée, d'accomplissement charnel. Seule la mort peut réunir les deux jeunes amants, ensevelis dans le même tombeau, heureux au paradis dans le sein de Dieu.

En même temps qu'une histoire d'amour traitée, certes, sur un ton pathétique et dans une atmosphère de délire sentimental, mais aussi en donnant aux personnages une véritable consistance psychologique, le poème de Fouzoûlî est une allégorie mystique et philosophique exprimant le conflit entre la vie terrestre et les valeurs transcendantes.

Le style, généralement éloquent, imagé presque toujours, plus éclatant qu'orné, présente des variations de ton qui évitent l'uniformité. Des poèmes d'un mètre plus léger, intercalés de temps à autre entre les majestueux mesnèvī (distiques de deux fois onze syllabes à mètre fixe), contribuent à rendre moins pesante cette œuvre grandiose, mais qui reste élégante.

Fouzoûlî, dont la langue très savante n'est aujourd'hui directement accessible qu'à un petit nombre de spécialistes, n'en a pas moins conservé, en Turquie, en Azerbaïdjan, en Iran, en Irak, et même au Turkestan, une célébrité considérable, grâce, notamment, à des adaptations modernes (parfois portées à la scène) de son roman Leylâ et Medjnoûn. Il continue d'inspirer des poètes dans l'ensemble[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III

Classification

Pour citer cet article

Louis BAZIN. FOUZOÛLÎ (1495 env.-env. 1556) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • TURQUIE

    • Écrit par Michel BOZDÉMIR, Universalis, Ali KAZANCIGIL, Robert MANTRAN, Élise MASSICARD, Jean-François PÉROUSE
    • 37 012 mots
    • 22 médias
    ...aruz. On pourrait dire de Bāḳī qu'il a, en grand dignitaire de l'Empire, institutionnalisé sa poésie. Non moins imposant est le poète Fuzūlī (1495-1556) vivant à Bagdad, éclipsé aux yeux du Palais et des lettrés d'Istanbul par son éloignement et ses affinités chiites. Mais son lyrisme...

Voir aussi