FALCONET ÉTIENNE (1716-1791)
Le destin d'Étienne Maurice Falconet est l'un des plus curieux qu'offre l'histoire de la sculpture française ; son œuvre répond en effet à deux veines d'inspiration si distinctes que l'on ne dirait pas qu'un seul artiste ait pu concevoir et exécuter l'ensemble.
Enfant d'un milieu humble, Falconet eut la chance de s'imposer jeune à l'attention de Lemoyne et de conquérir son amitié. Il fut toute sa vie d'un caractère difficile et ombrageux, se brouillant souvent avec ses amis et ses protecteurs, comme il le fit par exemple avec Diderot et Catherine de Russie. Cette fierté hautaine ne facilita ni sa carrière académique (il ne fut reçu qu'à près de quarante ans, en 1754) ni les patronages officiels, et si Catherine II l'appela à Saint-Pétersbourg pour y élever le monument de Pierre le Grand, ce fut parce que les sculpteurs qu'elle avait sollicités d'abord demandaient des prix trop élevés.
Cette commande lointaine représente la grande chance de la carrière de Falconet. S'il ne l'avait pas eue, il n'aurait laissé le souvenir que d'un bon artiste du second rang, spécialiste des petits genres. Pourtant son morceau de réception, le Milon de Crotone (plâtre, 1745, Louvre ; marbre, 1754, Louvre), témoigne d'une originalité et d'un tempérament peu communs. Les deux versions constituent un hommage à Puget, dont Falconet sait retrouver la hardiesse de composition, la puissance dans le traitement de l'anatomie et l'exaltation héroïque. Puis, curieusement, la carrière parisienne de Falconet, jusqu'à son départ en 1766 pour la Russie, n'offre plus guère que des œuvres d'un style tout opposé ; la célèbre Baigneuse du Salon de 1757 (Louvre) nous présente une figure de femme, lisse, qui semble modelée plutôt que sculptée, dont le mouvement est réglé par un balancement de rythme plein de délicatesse et se traduit en longues courbes flexibles. À cette époque, Falconet, qui était l'ami de Boucher, commence à collaborer avec lui à la manufacture de Sèvres, donnant des modèles d'Enfants et faisant interpréter ses œuvres, le Pygmalion de 1763, l'Amitié de 1765 en biscuit. Créations exquises, mais qui n'annoncent guère le souffle épique du monument de Pierre le Grand.
Cette statue, inaugurée en 1782, est restée fameuse à plus d'un titre : d'abord pour la prouesse technique que représente le cheval cabré en bronze, bondissant sur le rocher qui sert de piédestal. Un contraste d'une rare intensité s'établit entre la fougue irrésistible qui paraît animer la bête et la majesté de l'empereur, dont le costume au drapé sans emphase et le port de tête droit constituent peut-être le meilleur symbole qui puisse illustrer l'idée du despote éclairé.
La Révolution ayant détruit ou mutilé les autres œuvres de sculpture monumentale que Falconet avait pu exécuter, comme ses travaux pour Saint-Roch à Paris, il ne reste que ce chef-d'œuvre lointain pour porter témoignage d'un grand sculpteur dont la France ne conserve qu'une part de production relativement mineure. En effet, frappé de paralysie en 1783, peu après son retour, Falconet n'aura plus la possibilité de déployer son génie reconnu trop tard.
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Écrit par
- Georges BRUNEL : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de lettres, conservateur des objets d'art des églises de la Ville de Paris
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