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ESTABLISHMENT

L'usage de ce terme s'est répandu à la fin des années 1950. L'establishment désigne habituellement l'élite dirigeante de la Grande-Bretagne, mais cette élite est loin d'être restreinte aux responsables officiels de la vie politique : souveraine, cabinet, Parlement. L'opinion publique semble considérer que, par des voies plus ou moins mystérieuses, des personnages sans mandat prennent une part active, voire décisive, à la détermination des grandes orientations de la politique intérieure et extérieure de la nation. L'establishment est aussi défini par le souci de ses membres de pérenniser le « système » existant en freinant toutes les évolutions brutales et en favorisant la permanence de quelques options fondamentales. En ce sens, il s'opposerait au jeu normal de la démocratie et retirerait au peuple le pouvoir d'infléchir radicalement le cours des choses.

Quelques groupes font manifestement partie de cette élite. L'entourage de la reine, sa famille, les ducs royaux, ainsi que le chef de son secrétariat privé, les grands officiers de la Cour, les conseillers privés exercent une influence indirecte. Quelques grandes familles aristocratiques (et non pas l'ensemble des quelque neuf cents pairs héréditaires), les propriétaires ou présidents-directeurs généraux des grandes firmes privées ou nationalisées, le gouverneur de la Banque d'Angleterre et quelques grands banquiers constitueraient un groupe sans l'aval duquel aucune grande décision économique ou sociale ne serait concevable, ou qu'il convient du moins de consulter au préalable. Les hauts fonctionnaires des ministères, et en particulier les sous-secrétaires d'État permanents, les chefs de service, les principaux diplomates, les chefs de l'armée feraient aussi partie de l'establishment, et le mythe de la technocratie est directement lié à celui que jouerait une élite d'« éminences grises » : la solidarité de serviteurs de l'État, issus souvent des mêmes écoles et universités, usant de la même langue un peu particulière, menant un genre de vie comparable et fréquemment mis en contact par les nécessités professionnelles et mondaines, n'est pas sans donner quelque crédibilité à une croyance fortement ancrée. On ne négligera pas non plus l'influence d'un certain nombre de savants et d'intellectuels, ni surtout le rôle des prélats anglicans, dont l'archevêque de Canterbury.

L'establishment n'est ni un groupe de pression organisé ni un syndicat de privilégiés ou de possédants. Lui appartenir ne résulte pas d'une promotion officielle. La cohésion du groupe est interne, car ses membres se reconnaissent et se considèrent volontiers comme une « méritocratie » qui viendrait corriger les défauts d'un système excessivement démocratique. Elle est aussi fondée sur les préjugés externes qui attribuent à ses membres, par-delà leurs divergences, le souci commun de guider l'évolution nationale.

L'existence d'influences occultes au sein de partis ou de syndicats, fort perceptible, surtout dans le Parti conservateur, a contribué à étendre l'emploi du terme : on parle, en Angleterre, de l'establishment dans tel parti ou dans telle organisation, et aux chefs officiels s'ajoutent des conseillers ou secrétaires plus ou moins connus du grand public.

Il reste toujours très difficile pour l'historien ou le politicologue de vérifier le bien-fondé d'un phénomène pourtant généralement reconnu.

— Roland MARX

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

Pour citer cet article

Roland MARX. ESTABLISHMENT [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ROYAUME-UNI - Histoire

    • Écrit par Universalis, Bertrand LEMONNIER, Roland MARX
    • 43 835 mots
    • 66 médias
    ...Concession faite au respect pour les capacités et grâce à laquelle une élite en place, à laquelle on confère décisivement vers 1955-1959 l'appellation d' Establishment, espère se perpétuer. Pourtant, cette élite déplore de trouver parmi les siens des traîtres à la patrie : de grandes affaires d' espionnage,...

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