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JÜNGER ERNST (1895-1998)

À l'écoute du temps

Encore presque adolescent, Jünger a été pris à partie par l'histoire, sous la forme impérieuse du premier conflit mondial, qui sonna pour beaucoup le glas du monde bourgeois. Orages d'acier (1920) et ses autres récits de guerre constituent la description fascinée d'un monde retourné à l'élémentaire, où la seule issue pour l'individu semble être le « réalisme héroïque » et une implacable objectivité qui isole l'artiste dans une contemplation distanciée. Mais, par-delà les immédiats problèmes politiques dans lesquels Jünger s'attarde quelque temps sans efficacité, c'est déjà aux virages de la civilisation qu'il applique sa passion de comprendre. À travers l'expérience de la guerre, il a vu s'instaurer la surpuissance de la technique qui échappe au domaine moral pour provoquer un bouleversement métaphysique. En 1932, un essai majeur, Le Travailleur, tente de cerner la nouvelle figure du Travailleur qui remplace le Paysan, le Soldat et le Prêtre à l'arrière-plan de notre destin. La conscience aiguë de l'horreur nazie multipliera ses réticences envers la modernité à laquelle il n'apportait jusqu'alors qu'une adhésion volontariste. Les journaux de la Seconde Guerre mondiale marquent un approfondissement humaniste et moral qui s'enrichira encore dans les œuvres ultérieures : Le Traité du rebelle prône contre l'État-Léviathan une dissidence de tout l'individu qui ajoute aux armes du partisan celles du penseur ; Le Mur du temps minimise les révolutions politiques, simple écume à la surface d'une réalité magique, d'une vérité quasi platonicienne dont l'histoire ne constitue que le scintillement kaléidoscopique. Sa passion conjointe des voyages et de l'entomologie, qui s'est exprimée en particulier dans Chasses subtiles et Sous le signe de Halley, l'oriente prioritairement dans ses derniers textes vers une défense des ressources naturelles de la planète dont le gaspillage par l'inconscience humaine le terrifie. Presque aussi grave que l'oubli des dieux, la méconnaissance des animaux et de la vie constitue à ses yeux une faiblesse majeure de l'homme moderne : sous ce jour, Jünger apparaît comme un pionnier de la défense des valeurs écologiques dans la littérature du xxe siècle.

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Pour citer cet article

Julien HERVIER. JÜNGER ERNST (1895-1998) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • SUR LES FALAISES DE MARBRE, Ernst Jünger - Fiche de lecture

    • Écrit par Lionel RICHARD
    • 991 mots

    Ernst Jünger (1895-1998) rapporte qu'il a entrepris le bref roman Sur les falaises de marbre à la suite d'un rêve, en février 1939, alors qu'il vivait à Ueberlingen, près du lac de Constance, dans la douceur du pays souabe. Il l'a terminé le 18 juillet 1939 dans son nouveau domicile de Kirchhorst,...

  • ALLEMANDES (LANGUE ET LITTÉRATURES) - Littératures

    • Écrit par Nicole BARY, Claude DAVID, Claude LECOUTEUX, Étienne MAZINGUE, Claude PORCELL
    • 24 585 mots
    • 29 médias
    ...au régime, parvinrent à ne pas quitter le sol allemand ; ce fut ce qu'on nomma plus tard l'« émigration intérieure ». Le plus notable de ce groupe fut Ernst Jünger (1895-1998) ; il avait été le porte-parole d'un conservatisme extrême, mais s'était détourné avec dégoût du régime des nazis. Ses ...

Voir aussi