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EMPFINDSAMKEIT, musique

L'Empfindsamkeit est un mouvement préclassique qui se développe essentiellement en Allemagne du Nord, en réaction au rationalisme de l'Aufklärung (les Lumières germaniques), de 1740 à 1760 environ. Cette « sensibilité » (ou « émotivité » ou « sentimentalité ») nouvelle que l'on s'ingénie désormais à cultiver indique qu'une page est bel et bien en train de se tourner : il est désormais concevable d'exprimer en musique ses sentiments, ses passions, un parfum de galanterie même ou une inclination touchante. Les « affections de l'âme », telles qu'on les nomme, ses mouvements, ses humeurs, ses états trouvent un terrain artistique privilégié.

À l'affranchissement de l'inspiration correspond du coup une libération de la forme, et l'on ne compte plus les fantaisies écrites pour tous les instruments (de l'allemand phantasieren : « s'abandonner à son imagination », « rêvasser », « battre la campagne par l'esprit » et, en musique, « improviser »), d'où les surprises harmoniques et rythmiques que l'on a souvent qualifiées d'étranges ou de bizarres. Les tonalités mineures, l'expressivité mélodique, le rôle des silences, les modulations étonnantes, les variations inattendues de rythme et de tempo, de dynamique et d'agogique, les lignes chaotiques, l'impression d'improvisation – mais l'impression seulement : les reprises des Sechs Sonaten für Clavier mit veränderten Reprisen (Six Sonates pour clavier avec reprises variées, 1760) de Carl Philipp Emanuel Bach sont écrites par le compositeur et non laissées à la libre imagination de l'interprète –, la complexité rythmique, les passages en style récitatif instrumental (fort prisé) ou à l'unisson, les harmonies et les chromatismes audacieux, les recherches de couleurs préparent, aussi, la prochaine étape, celle du Sturm und Drang préromantique. Les méandres de l'écriture contrapuntique tombent progressivement en désuétude. On leur préfère l'écriture homophone, et une orientation vers plus de symétrie et de rigueur classiques.

Le deuxième des quatre fils musiciens de Jean-Sébastien Bach, Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788), le « Bach de Berlin et de Hambourg », est le principal représentant de ce mouvement. Si l'Empfindsamkeit incline à la musique instrumentale, c'est essentiellement par l'intermédiaire du clavier que le compositeur illustre le mieux ce courant (préférant d'ailleurs le clavier conducteur au continuo). Les sonates (dont un tiers sont en mineur) sont en trois mouvements vif-lent-vif ; la forme sonate à deux thèmes est mise au point et Carl est l'un des premiers à l'utiliser, après son frère Wilhelm Friedemann cependant ; la forme binaire à reprises est également appréciée. Ses six Sonates prussiennes (1740-1742) mêlent contrepoint et style galant. Ses six Sonates wurtembergeoises (1742-1744), dont la moitié sont en mineur, adoptent un style proche de la fantaisie. Les indications d'exécution des six sonates de la première partie du Versuch über die wahre Art das Clavier zu spielen (« Essai sur la véritable manière de jouer des instruments à clavier », 1753), inimaginables sous la plume de son père, méritent l'attention tant elles parlent d'elles-mêmes : andante, ma innocentemente pour le mouvement lent de la première, allegro con spirito pour le premier mouvement de la deuxième, allegretto grazioso pour le premier mouvement de la quatrième, arioso ed amoroso pour le mouvement final de la cinquième, adagio effetuoso pour le mouvement lent de la sixième..., sans compter les dynamiques nombreuses, du fortissimo au pianissimo. On évoque souvent le Trio pour deux violons et basse continue en ut mineur, W 161a (1749), où un dialogue – sorte de « musique à programme » avant[...]

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Écrit par

  • : professeur au Conservatoire de Bourg-la-Reine

Classification

Pour citer cet article

Sophie COMET. EMPFINDSAMKEIT, musique [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • BACH JOHANN CHRISTOPH FRIEDRICH (1732-1795)

    • Écrit par Marc VIGNAL
    • 801 mots

    Neuvième enfant de Jean-Sébastien Bach et fils aîné de ses secondes noces avec Anna Magdalena, troisième des quatre fils musiciens de Jean-Sébastien, il aura, contrairement à ses frères, une carrière assez modeste et peu agitée. Il vient de s'inscrire à la faculté de droit de Leipzig, sa ville...

  • MANNHEIM ÉCOLE DE

    • Écrit par Nicole LACHARTRE
    • 2 239 mots
    • 1 média
    ...facilement accessible et un peu superficiel chez eux, de l'emploi des nuances, des modulations, des timbres. Mais leur démarche s'inscrit dans la lignée de l' Empfindsamkeit (approximativement : sensibilité), un mouvement assez général dans l'Europe musicale du xviiie siècle, particulièrement fort en...
  • ROCOCO

    • Écrit par Georges BRUNEL, François H. DOWLEY, Pierre-Paul LACAS
    • 21 059 mots
    • 14 médias
    ...d'autre part, par réaction à la fois contre le baroque et contre les exagérations maniéristes de ce rococo galant, le rococo sensible, celui de l' Empfindsamkeit. « Nulle époque antérieure n'avait produit une floraison aussi touffue de fantaisies pour tous les instruments, nulle autre surtout...
  • SCHOBERT JOHANN (1740 env.-1767)

    • Écrit par Marc VIGNAL
    • 468 mots

    Compositeur aux origines incertaines (il naît sans doute en Silésie à une date inconnue), Schobert arrive à Paris vers 1760 après avoir enseigné quelque temps la musique à Strasbourg et avoir occupé un poste d'organiste à Versailles. En 1761, il entre au service du prince de Conti comme maître de...

Voir aussi