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DICKINSON EMILY (1830-1886)

L'expression

Pour tenter de sortir de son dilemme et compenser ce que la religion n'avait pu combler, Emily Dickinson s'est tournée vers la création artistique. De ses réflexions dispersées, comme de ses images, ressort une théorie personnelle : le poète crée, à partir d'un épicentre conscient, une « circonférence » imaginaire dont le but est de coïncider avec celle du réel. Cet effort reste vain dans la mesure où, comparées aux merveilles du moindre objet naturel, les splendeurs poétiques font figure de « ménageries », puisque aussi bien l'on ne peut qu'imiter de loin une création par essence étrangère, ou évoquer gauchement un absolu rebelle à l'expression. Mais il est aussi une magie des mots ; elle permet de construire un microcosme de beauté qui, à sa façon, atteint à une vérité absolue ; certes, comparée à l'orbe de l'univers, l'œuvre du poète paraît minuscule ; pourtant, elle reflète cet univers pour une vision humaine limitée dans le temps et dans l'espace.

Les poèmes utilisent une métrique fondée sur celle qu'employaient des hymnes protestants comme ceux d'Isaac Watts (1674-1748). Le common meter y prédomine ; avec son schéma d'octosyllabes et d'hexasyllabes alternés et son rythme iambique, il est assez proche de la ballad anglo-saxonne et de certaines nursery rhymes. Mais ce modèle est fréquemment diversifié, et ce qui était froid et mécanique chez Watts devient chez la poétesse un instrument d'une grande souplesse, aux rythmes subtils, aux rimes capricieuses, libéré par la fantaisie individualiste de l'auteur. Certains poèmes sont des réussites parfaites ; dans beaucoup d'autres, on décèle quelque monotonie et une sorte de sécheresse aggravée par le trait rapide, l'extrême concision verbale et une sténographie grammaticale qui rend le sens parfois incertain. La forte originalité formelle d'Emily Dickinson tient plus à un vocabulaire riche et inattendu, à une constellation de métaphores mémorables, qu'à une maîtrise prosodique dont elle semble s'être, en définitive, assez peu souciée.

— Guy Jean FORGUE

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur d'américain à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

Pour citer cet article

Guy Jean FORGUE. DICKINSON EMILY (1830-1886) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Emily Dickinson - crédits : Three Lions/ Getty Images

Emily Dickinson

Autres références

  • UNE ÂME EN INCANDESCENCE (E. Dickinson)

    • Écrit par Gilles QUINSAT
    • 1 250 mots

    Emily Dickinson fait partie de ces grands noms qui, avec Poe, Emerson, Thoreau, Hawthorne, Melville ou Whitman, marquent un tournant dans la littérature américaine. Si elle est parvenue si difficilement jusqu'à nous, l'histoire de l'œuvre, indissociable de celle de son auteur, n'y est pas pour rien....

  • HORN RONI (1955- )

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    Roni Horn est une artiste américaine qui utilise la sculpture, le dessin, la photographie, l'installation et le livre. Depuis ses premières œuvres datées des années 1970, elle développe une réflexion sur la vision, l'espace de la représentation, l'identité et la mémoire. Les paysages islandais...

  • POÈMES, Emily Dickinson - Fiche de lecture

    • Écrit par Claude-Henry du BORD
    • 852 mots

    Contemporaine des écrivains américains Poe, Melville, Hawthorne et Whitman, Emily Dickinson est née en Nouvelle-Angleterre (États-Unis) en 1830, dans un milieu pétri de culture puritaine. Totalement inconnue de son vivant, elle ne réussit à publier que cinq poèmes, dans de petits journaux et souvent...

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