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MÖRIKE EDUARD (1804-1875)

Peu abondante, l'œuvre de Mörike est d'une qualité constante. Indifférent à la politique, n'estimant guère Heine, le plus connu des poètes polémistes, il porte à une perfection extrême les qualités de l'École souabe : musicalité du vers, plasticité des images, attachement au terroir et à la poésie populaire. Mais l'étroitesse et, parfois, la sécheresse de cette poésie d'une placidité bourgeoise sont étrangères à Mörike, qu'une constitution maladive, une sensibilité frémissante à l'atmosphère, une oreille délicate, une émotivité douloureuse ont doué, dès sa jeunesse, d'un tempérament lyrique. Encore qu'il ait écrit quelques nouvelles, de gracieux contes et un long roman, bizarrement qualifié de « nouvelle », Le Peintre Nolten, sur le modèle mis à la mode par Goethe et Jean-Paul, l'essentiel tient dans ces poèmes réunis pour la première fois dans le mince volume de 1838, qui connut trois rééditions augmentées jusqu'à sa mort.

La quête de l'enfance perdue

Œuvre plus subtile que forte, multiforme, qu'il est difficile de ramener à quelques traits généraux. Mörike n'a pour ainsi dire jamais quitté la Souabe (où il naquit à Ludwigsburg), et son monde s'étend du lac de Constance à la Forêt-Noire ; limitation frappante, en un temps où l'exotisme triomphe en Allemagne, et qui, comme son refus de la politique, prend l'allure du repli vers un microcosme protecteur. Mörike reste en quête d'une harmonie goûtée dans l'enfance, perdue dans les crises de l'adolescence – mort de son père, appauvrissement de sa famille, égarements amoureux – et qu'il tente de ressusciter sous des formes diverses. Tantôt ce visionnaire ému par le frôlement du bizarre se sent en rapport magique avec les Invisibles, elfes taquins, géants balourds, démones fascinantes et perfides ; tantôt son âme mobile réagit aux nuances de la lumière et des saisons en se fondant avec la Nature dans une union mystique où la dualité du moi et des choses, source d'inquiétude, est surmontée dans une étreinte voluptueuse. Parmi les éléments analysés par G. Bachelard, c'est l'air qui captive l'imagination du poète, et il s'est livré, indirectement, dans son poème « Sur une harpe éolienne », souvenir de celles qu'il avait connues sur les collines de son enfance, image d'une âme qui, caressée par des souffles errants, exhale des plaintes vagues et mélodieuses. Tantôt, au contraire, la faculté créatrice se resserre autour d'un objet, d'une situation, d'un nom (Rothraut, dans la plus fameuse de ses ballades), d'un arbre, d'un paysage, et se contient dans les limites d'un poème aux contours nets, dont Mörike avait trouvé l'exemple chez Goethe et dans la poésie grecque, idylles, épigrammes, pièces anacréontiques ; tantôt enfin, il se détend dans l'humour flegmatique et minutieusement descriptif chers aux Alamans et, teintant sa langue très pure de nuances dialectales, il raconte quelque farce rustique, évoque les menus conflits et les petites joies d'existences coites, les maîtres d'école, pasteurs, vignerons, pêcheurs du lac, les garçons farauds et les filles tantôt coquettes et tantôt dépitées. Mais l'idylle ne voile qu'à peine la sourde angoisse qui demeure, malgré des bouffées d'humour ou d'attendrissement ingénu, la dominante de son lyrisme.

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé d'allemand, professeur de littérature allemande à l'Université libre de Bruxelles et à la Vrije Universiteit Brussel

Classification

Pour citer cet article

Henri PLARD. MÖRIKE EDUARD (1804-1875) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • BIEDERMEIER, littérature

    • Écrit par Véronique KLAUBER
    • 526 mots

    Époque, mode de vie, mais aussi style littéraire et artistique, le Biedermeier coïncide avec la période de 1815-1848, celle du Vormärz et de la Restauration, celle de Junge Deutschland et de la Sainte-Alliance, celle de la paix après les guerres sanglantes et celle du régime répressif de Metternich...

  • WOLF HUGO (1860-1903)

    • Écrit par Stéphane GOLDET
    • 2 550 mots
    ...du 16 févr. au 26 nov. 1888), Wolf s'approprie un poète dont la sensibilité entre très directement en résonance avec la sienne : plus que tout autre, Eduard Mörike sera « son » poète, qui croque, avec un égal bonheur, la réalité et le rêve, le naturel et le fantastique. C'est à ce recueil qu'appartient...

Voir aussi