ÉCOLE LITTÉRAIRE
Abandon de la doctrine, avènement de la singularité
Le xixe siècle est l'âge d'or des « écoles » : romantisme, réalisme, naturalisme, symbolisme se succèdent comme à la parade... Chacune a une esthétique affirmée, mise en œuvre collectivement, des bornes chronologiques identifiables (un cas type serait le Parnasse, avec la parution des trois volumes du Parnasse contemporain, de 1866 à 1876), des expressions aisément localisables. Gustave Lanson fait du terme un usage immodéré, opposant par exemple à l'école romantique, dans les années 1830, une « école classique » (Nisard) – mais c'est pour conclure, au dernier chapitre de son Histoire illustrée de la littérature française (1925), que désormais « il n'y a plus d'écoles ».
L'analyse qu'il en donne mérite d'être rappelée : la cause en serait « la banqueroute du naturalisme », de Zola comme chef d'école – mais aussi de son absurde prétention à la science (intimement viciée pour le savant que se voulait Lanson) et au-delà, profondément, l'impossibilité de toute « doctrine dirigeante » en littérature. « Il n'y a pas une doctrine ni une technique qui rallie tous les auteurs, ni la majorité des auteurs, ni les meilleurs des auteurs, ni la majorité et les meilleurs des plus jeunes. La liberté esthétique est une conquête assurée. » « Il n'y a plus d'écoles ; mais il y a des coteries, ou, comme on a dit, des "chapelles" ; il y en a vraiment trop. Après les décadents, les symbolistes, et l'école romane de Moréas, on a eu, simultanément ou successivement, l'humanisme, l'unanimisme, l'intégralisme, le naturisme, les paroxystes, les spiritualistes, les néo-classiques, l'impulsionisme[sic], l'intimisme, le primitivisme, le futurisme, le régionalisme ; on a eu les Loups et l'Abbaye de Créteil ; hier le cubisme, et aujourd'hui le dadaïsme. J'en oublie probablement. » Le penchant français pour la théorie ne s'organise plus en vastes mouvements qui se succèdent, il aboutit à la dispersion et l'atomisation par volonté forcenée de se distinguer. Ce « caractère d'anarchie », Lanson y voit – et, dit-il, sans s'en effrayer – « le résultat normal de la disparition du dogmatisme littéraire qui laisse à chaque écrivain la liberté de construire l'œuvre qui lui plaît et d'y mettre ce qu'il veut. L'unité ne peut donc plus être qu'une convergence des libres efforts, un consensus spontané ou réfléchi des individualités souveraines. On conçoit qu'une telle unité ne soit pas extérieurement toujours apparente, et qu'elle ne se réalise que lentement ».
Au bout du compte, on le devine, il y faut le recul de l'historien : la notion d'école apparaît comme indispensable à l'histoire littéraire, parce qu'elle articule, sans trop y réfléchir, la dimension individuelle de l'œuvre à la dimension institutionnelle du groupe, l'appréciation esthétique à l'approche sociale. Mais, comme l'a montré Antoine Compagnon dans son examen critique de la discipline, ce n'est pas pour autant qu'elle dispense de tout jugement de valeur. La vision historiciste de la littérature comme succession d'écoles et de mouvements, selon le schéma actions-réactions, ne dispense pas de prendre parti : parti de la tradition ou parti du nouveau. Le mot d'école place chaque mouvement successivement en position dominante : vision des vainqueurs, si l'on ose dire, du moins histoire d'une succession de victoires, d'hommes de lettres « arrivés ». C'est pourquoi, sans doute, il est devenu suspect aux écrivains eux-mêmes. Le surréalisme, qui réunit de toute évidence tous les caractères requis (manifestes, chef de file, revues, collectif, etc.), ne se présente guère lui-même en ces termes par trop académiques.[...]
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Écrit par
- François TRÉMOLIÈRES : professeur de littérature française du XVIIe siècle, université Rennes-2