DYSLEXIES DÉVELOPPEMENTALES : LES DIMENSIONS VISUELLES ET ATTENTIONNELLES
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Des traitements cognitifs visuels et visuo-attentionnels sophistiqués sont nécessairement impliqués dans le traitement des séquences de lettres qui composent les mots écrits. Lors de l’ apprentissage de la lecture, ces traitements font l’objet d’un apprentissage perceptif pour s’adapter aux contraintes du système orthographique. Il est donc naturel qu’un dysfonctionnement de la sphère visuelle puisse être à l’origine de certaines formes de dyslexies. Il s’agit de troubles cognitifs, donc de troubles qui se manifestent malgré une bonne acuité visuelle et en l’absence de problèmes oculomoteurs (tels que e.g., paralysie oculomotrice, etc.).
Au début du xxe siècle, on désignait par « cécité verbale congénitale » les difficultés sévères d’apprentissage de la lecture. L’origine supposée des troubles était alors clairement visuelle, mais reposait essentiellement sur l’observation de confusions entre lettres proches (b/d, u/n) et d’inversion de lettres dans les mots (calque/claque) sans identification des mécanismes visuels impliqués.
L’hypothèse visuelle a connu un regain d’intérêt dans les années 1990, avec la mise en évidence de difficultés de traitement visuel de bas niveau (sensibilité réduite aux faibles contrastes, difficulté de traitement de points en mouvement) associées à des anomalies cérébrales intéressant le système visuel magnocellulaire. Ce système participe à de très nombreuses fonctions (contrôle oculomoteur fin, déplacement de l’attention) qui pourraient altérer l’apprentissage de la lecture lorsqu’elles sont déficitaires. Cependant, nous manquons d’arguments à l’appui d’une relation causale entre trouble visuel magnocellulaire et dyslexie. D’ailleurs, les troubles visuels magnocellulaires sont le plus souvent associés aux troubles phonologiques et l’atteinte du système magnocellulaire s’observe en modalité tant visuelle qu’auditive. Dès lors, le trouble magnocellulaire auditif pourrait entraîner les difficultés de traitement phonologique responsables des troubles dyslexiques. Les difficultés visuelles magnocellulaires seraient alors un facteur aggravant dont le lien causal direct avec les troubles dyslexiques reste à démontrer.
Des difficultés d’orientation de l’attention spatiale et un déplacement attentionnel ralenti sont également relatés chez les dyslexiques. Dans des épreuves de détection de cibles simples, les personnes dyslexiques traitent plus rapidement les cibles présentées dans le champ visuel droit que celles du champ visuel gauche, ce qui traduit un biais attentionnel droit. Sur le plan temporel, elles ont des difficultés à traiter des informations visuelles qui se succèdent rapidement, comme si l’attention visuelle, une fois engagée dans le traitement d’un stimulus, avait du mal à se réengager sur le suivant. Ces déficits pourraient altérer le décodage des mots nouveaux qui nécessite une orientation gauche de l’attention (vers le début du mot) et un déplacement attentionnel vers la droite lors du traitement séquentiel des unités orthographiques sous-lexicales. Mais, là encore, ces déficits attentionnels spatiaux et temporels sont le plus souvent associés aux troubles phonologiques. De plus, le même type de troubles existe en modalité auditive.
La faiblesse des hypothèses visuelles précédemment évoquées est double : elles ne démontrent ni leur indépendance par rapport à l’hypothèse phonologique ni l’existence d’un lien causal direct entre les troubles décrits et l’apprentissage de la lecture. Deux autres types de troubles visuels ne présentent pas les mêmes faiblesses.
Certains enfants dyslexiques peuvent présenter un encombrement perceptif excessif,c’est-à-dire une difficulté à traiter une information visuelle lorsqu’elle est entourée d’éléments similaires. Ainsi, une lettre entourée d’autres lettres, ou un mot entouré d’autres mots, subit une interférence forte des éléments adjacents. Cet encombrement excessif rend l’identification des lettres du mot et des mots dans la phrase plus difficile. Dans ce cas, accroître l’espacement entre les lettres du mot (c h a t pour chat) et utiliser des caches pour ne dévoiler qu’un mot à la fois suffit à diminuer l’encombrement et faciliter la lecture.
Enfin, un sous-groupe d’enfants dyslexiques présente un trouble de l’empan visuo-attentionnel,c’est-à-dire un trouble du traitement visuel simultané d’éléments multiples. Ils traitent un nombre anormalement limité d’éléments dans des épreuves où des séquences de lettres (R H S D M) ou de chiffres, ou d’éléments non alphanumériques, sont présentées brièvement. Ce déficit empêcherait l’apprenti lecteur de traiter l’ensemble des lettres qui constituent les unités orthographiques, des graphèmes longs (ein) aux syllabes et aux mots, ce qui entraverait l’identification et la mémorisation de ces unités. D’ailleurs, les dyslexiques avec trouble de l’empan visuo-attentionnel font des erreurs de segmentation des graphèmes (teau lu té-au) et tendent à régulariser les mots irréguliers comme s’ils les lisaient syllabe par syllabe (monsieur lu mon-si-eur). Le trouble de l’empan visuo-attentionnel est en général dissocié du trouble phonologique et renvoie à un dysfonctionnement des r égions pariétales supérieures impliquées dans les traitements attentionnels. Des entraînements intensifs spécifiques permettent d’améliorer l’empan visuo-attentionnel et les performances en lecture.
Ces études montrent la nécessité de distinguer des sous-types de dyslexies selon la nature du trouble cognitif associé, de façon à proposer des prises en charge adaptées. L’enjeu est à présent de proposer des modélisations du système de lecture qui intègrent l’ensemble des mécanismes visuels et phonologiques identifiés afin d’expliciter leur rôle dans l’apprentissage de la lecture. La validation d’une relation causale permet de proposer des actions préventives facilitant l’apprentissage de la lecture.
Bibliographie
Dyslexie, dysorthographie, dyscalculie. Bilan des données scientifiques, rapport d’expertise, INSERM, Paris, 2007
S. Valdois, « Les Dyslexies par trouble de l’empan visuo-attentionnel », in B. Stanké dir. Les Dyslexies-dysorthographies, pp. 103-139, coll. Éducation/intervention Presse de l’université du Québec, 2016.
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Écrit par
- Sylviane VALDOIS : directrice de recherche au CNRS
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