DICTION, théâtre
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La diction est l'un des éléments du jeu du comédien caractérisant l'énonciation d'un texte. Elle prend en compte l'intonation, le débit, l'articulation, la prononciation, le volume sonore, etc. Souvent associée à la versification, elle déborde cependant le seul cas de l'alexandrin (« diction classique ») : tout acteur confronté à un texte travaille sa diction. L'intérêt porté à cette notion, s'il peut s'accompagner parfois d'une certaine tendance au passéisme, rappelle avec force qu'il n'y a de théâtre que joué, parlé, dit, soit dégagé de l'immobilité du texte écrit. Néanmoins, dès sa définition, la diction se trouve placée en tension entre son caractère prescriptif (ce qu'il convient de faire) et descriptif (le type de diction de chacun). Le souvenir d'acteurs et d'actrices « légendaires » (Gérard Philipe, par exemple) est en partie tributaire de la singularité de leur diction, de l'originalité de leur scansion. À l'inverse, les règles de la diction, pourtant historiquement variables, semblent a priori prévenir de toute innovation l'art dramatique. Et si, bien évidemment, l'acteur possède à l'intérieur de ces contraintes strictes une réelle liberté, celle-ci n'en reste pas moins encadrée. Cette tension/contradiction explique en partie l'évolution complexe de ce terme qui aujourd'hui tend à n'être plus conditionné par des dogmes sur l'art de dire, mais décrit un des matériaux au service du jeu et de la mise en scène, matériau soumis à l'épreuve des inventions formelles.
Composante importante de la formation de l'acteur, la diction fait l'objet d'une multitude d'exercices et de jeux censés développer l'articulation et l'aisance des acteurs. En France, les leçons graduées de déclamation de Paul Gravollet (Déclamation. École du mécanisme, 1894) ou de Georges Le Roy (Traité pratique de la diction française, 1960) ont contribué à la formation de nombreux comédiens – et, au-delà, de toute personne amenée à prendre la parole en public. Mais, outre cette application, la diction fait partie intégrante de l'histoire de l'esthétique théâtrale, et notamment du théâtre classique. Elle prend alors un sens restrictif. L'alexandrin implique, pour son respect, une certaine prononciation déduite des règles de la grammaire française (Jean-Claude Milner et François Regnault, Dire le vers, 1987). De là, on peut déduire qu'il existe une manière juste et une manière incorrecte de dire le vers. Toutefois, retrouver les modalités de la diction classique – une manière de dire et de marquer les accents qui apparaîtrait de nos jours comme forcée – constitue une tentation récurrente à laquelle s'emploient certains praticiens et philosophes. L'abondance des traités souvent contradictoires, comme celui du R. P. Bernard Lamy, La Rhétorique, ou l'Art de parler (1675), ou celui de René Bary, Méthode pour bien prononcer un discours, et pour le bien animer (1679), rend difficile et peut-être vaine une telle quête. La diction est soumise à un ensemble de codes, à propos desquels les spécialistes multiplient les désaccords, dont les traités témoignent. Dire le vers classique s'avère ainsi être l'enjeu d'une controverse : pour certains, il s'agit de la réitération à l'identique de ce qui fut, pour d'autres, c'est une redécouverte à partir de règles invariables de la diction classique – non dans le mimétisme de la période classique, mais dans le respect du vers, de ses liaisons, du « e muet », etc.
Il est toutefois impératif de ne pas circonscrire la diction au seul théâtre classique. On risquerait d'omettre le fait que tout langage parlé ou chanté appelle un travail sur la diction, mais aussi que les esthétiques théâtrales sont en partie éclairées par ce choix. L'une, par exemple, transparente ou naturaliste se fonde sur la nécessité de rendre le parler tel qu'il serait dans la vie courante. Telle est l'ambition de François-Joseph Talma (1763-1826) ; influencé par le théâtre élisabéthain, il cherche à compléter la révolution commencée par Lekain (1728-1778), l'acteur fétiche de Voltaire, en portant sur la scène la vérité de la diction. L'autre, « artificielle » ou fabriquée, refuse le diktat de l'imitation pour valoriser l'invention d'une langue singulière : celle du théâtre. Cette opposition, schématique, permet de distinguer les courants radicalement opposés qui structurent l'histoire théâtrale à partir du xxe siècle. Dans cette optique, promue par le metteur en scène Stanislavski (1863-1938), la diction participe de la construction psychologique du personnage que l'acteur cherche à incarner en lui apportant force et authenticité.
La diction est donc simultanément un ensemble de principes, la conséquence de choix esthétiques, et une conception de l'art dramatique. Longtemps considérée comme l'un des points fondamentaux de la technique de l'acteur (voir, par exemple, les conseils que donne Sarah Bernhardt dans L'Art du théâtre : la voix, le geste, la prononciation, 1923), elle n'a plus aujourd'hui la même valeur qu'auparavant. Une tendance à l'emphase, à la déclamation (déjà moquée par Hamlet, dans la pièce de Shakespeare, lorsque celui-ci prévenait contre un manque de sobriété indigne de l'art de l'acteur et réservé au « crieur public », Hamlet, Acte III, scène 2) a pu la déconsidérer dans la seconde moitié du xxe siècle : un style interprétatif conventionnel, arrimé au texte, usé par les codes aurait dérivé vers une répétition sclérosante de formes insignifiantes.
La diction subit en effet la remise en cause du primat du sens du texte sur la valeur sensible de la représentation : le sens ne se transmet plus dans le seul dire articulé, et l'inintelligible a conquis une valeur poétique. De nombreuses mises en scène mettent à mal les techniques éprouvées de la diction. Le texte, le poème dramatique ne se donnent ni dans la transparence artificielle du naturalisme ni dans la répétition mécanique de techniques fétichisées, mais dans l'invention d'une langue orale, singulière. Ce déplacement radical qui refuse tout à la fois les règles classiques et le mimétisme à l'égard d'un parler « naturel » (dont on oublie bien souvent à quel point il est socialement construit) permet de mentionner le caractère irréductible de la diction à ce qui semblait pourtant être son sort : il est des dictions, aujourd'hui, qui ne se donnent plus pour objectif la transmission du sens mais, dans leur musique ou par leur rythmique, tendent à distordre leur mission première. Dire n'est plus forcément se faire comprendre. Certaines dictions travaillent à violenter volontairement l'intelligibilité « naturelle » du texte. L'évolution de la diction paraît ainsi s'articuler autour de pratiques moins marquées historiquement, telles que la profération ou l'invention de langues inconnues, surgies d'espaces et de temporalités inédites. La diction s'affirme dès lors, dans la refondation d'une langue nouvelle, comme l'un des matériaux poétiques de la représentation, ce qu'elle a toujours été mais que des pratiques et des discours dogmatiques ont parfois occulté.
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Écrit par
- Olivier NEVEUX : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'École normale supérieure de Lyon
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