Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

CHARLES D'ORLÉANS (1394-1465)

Le rapport entre la vie et les poèmes de Charles, duc d'Orléans (fils de Louis d'Orléans, qui fut tué par Jean sans Peur en 1407, et père de Louis XII), est plus compliqué que ne le ferait croire, par exemple, un rapprochement entre les ballades où il nous parle de son exil et l'histoire qui nous apprend ses vingt-cinq ans de captivité en Angleterre, après Azincourt (1415). L'espace, de mer et de temps, qui le sépare de tout ce qu'il aime constitue le lieu où s'élabore le théâtre allégorique de sa pensée : là se joue le drame intérieur d'une conscience cherchant à faire régner la sagesse de la raison sur un cœur tenté par la passion ou envahi par la mélancolie. Rentré en France en 1440, et réunissant autour de lui quelques amis qui partagent ses goûts et cultivent ses manies, le poète évoque, sans doute, en rondeaux vifs et animés, les plaisirs du monde quotidien, mais c'est pour creuser encore l'écart entre les yeux qui se divertissent du spectacle et la pensée qui réfléchit. Le calendrier poétique ramène les petits événements des jours qui passent au rythme essentiel de la vie. Le manuscrit personnel du prince, où sont conservés ses poèmes, parfois autographes, avec les répliques que lui donnent ses amis, s'organise d'abord selon un plan esthétique distinguant nettement les ballades amoureuses, encadrées par les deux fictions de la Retenue et de la Départie d'amour, les ballades diverses, les chansons, les caroles et les complaintes. La plupart de ces poèmes, transcrits avec soin, ont été composés en Angleterre. Ils ont pour thème directeur le service d'une dame dont l'identité intrigue les biographes, et qui n'est pas nécessairement l'une de ses deux premières épouses, Isabelle de France ou Bonne d'Armagnac. Plus significatif est le dédoublement qui se manifeste déjà entre le moi amoureux et la pensée qui le surveille. Par la suite, la composition du recueil se brouille : des poèmes sont rajoutés au fur et à mesure de leur création, avec moins de soin dans la présentation. Les rondeaux ne prétendent plus être chantés, les ballades s'ajoutent aux deux cahiers déjà constitués. Peut-on retrouver désormais un ordre chronologique ? Le désordre de ces feuillets, le caprice du prince rendent une telle enquête difficile dans le détail. Mais on remarque le retour des mêmes thèmes, la surimpression de sentiments divers et, par un rapprochement fortuit ou calculé, la rencontre d'impressions contradictoires. Dans un langage resté très pur, le vocabulaire s'enrichit de notations concrètes, la métaphore fait marcher plus subtilement l'allégorie, le vers plus dense ébauche un dialogue plein de vivacité. Poésie qui est encore un art de la conversation : avec la dame, avec l'entourage, avec soi-même. Les images gravitent autour de thèmes symboliques riches de suggestions et les refrains ou sentences résument le savoir accumulé par d'austères lectures. Pas de pédantisme en ces cahiers de poésie : l'élégance est de déguiser le raffinement philosophique sous les costumes du monde familier.

— Daniel POIRION

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Daniel POIRION. CHARLES D'ORLÉANS (1394-1465) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • POÉSIES, Charles d'Orléans - Fiche de lecture

    • Écrit par Emmanuèle BAUMGARTNER
    • 811 mots

    L'assassinat de son père, Louis de France, duc d'Orléans, en 1407, le désastre d'Azincourt en 1415, et vingt-cinq ans de captivité en Angleterre : autant de malheurs qui, écartant Charles d'Orléans (1394-1465) des affaires du royaume, ont orienté vers la création poétique...

  • ALLÉGORIE

    • Écrit par Frédéric ELSIG, Jean-François GROULIER, Jacqueline LICHTENSTEIN, Daniel POIRION, Daniel RUSSO, Gilles SAURON
    • 11 594 mots
    • 5 médias
    Ce qu'on voit pourtant, à la cour de Charles d'Orléans, c'est l'importance de cette vie imaginaire qui accompagne la vie réelle, animant réflexions et discussions avec des personnages, des décors gracieux et pittoresques, mais surtout chargés de suggestion analogique. Il s'établit aussi une sorte...
  • BESTIAIRES

    • Écrit par Françoise ARMENGAUD, Daniel POIRION
    • 10 728 mots
    • 11 médias
    Le thème de la chasse servira néanmoins à renouveler l'allégorie de poètes comme Charles d'Orléans :
  • MOYEN ÂGE - La poésie lyrique

    • Écrit par Daniel POIRION
    • 5 690 mots
    Il appartenait à un prince, à Charles, duc d'Orléans (1394-1465), d'écrire dans ce style allégorique les derniers chefs-d'œuvre de la tradition lyrique inaugurée par le duc d'Aquitaine. De son exil en Angleterre, il a rapporté un chansonnier composé un peu comme celui de Pétrarque : les ballades et...

Voir aussi