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NAUMAN BRUCE (1941- )

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Une dissection du langage

Parallèlement aux performances le mettant en scène, Nauman conçoit à la fin des années 1960 d'autres installations qui, à l'image de ses corridors, créent des atmosphères pesantes. L'une d'entre-elles, Get out of my mind, get out of this room (1968, coll. part.), se présente sous la forme d'une chambre vide – sorte de mise en abyme du cube blanc immaculé – où résonne une voix dont la source nous est inconnue, qui implore le spectateur de sortir de [son] esprit et de cet espace. Bien que cette œuvre réponde aux enjeux synesthésiques et phénoménologiques qui caractérisent la plupart de ses travaux « hybrides » conçus à cette période, Get out of my mind, get out of this room accentue en premier lieu ce qui va devenir à terme le « médium » de prédilection de l'artiste, à savoir le langage. Nauman n'a de cesse en effet de le décortiquer sous ses formes vocales ou écrites et de l'expérimenter à travers des variations qui trouvent pour supports dessins (Love Me Tender, Move Te Lender, 1966, Saint Louis Art Museum, États-Unis), photographies (Eleven Color Photographs, 1966-1970), vidéos (Lip-Sync, 1969, Centre Georges-Pompidou, Paris) ou œuvres à base de néons (None Sing Neon Sign, 1970, coll. part. ; Run from Fear Fun from Rear, 1972, coll. part.).

De nombreux commentateurs de Nauman ont insisté sur le fait que cette importance accordée au langage est circonstancielle et en partie tributaire des débats contemporains qui animent les cercles philosophiques, structuralistes ou linguistiques. Nous savons effectivement que Nauman s'est imprégné dès le début des années 1960 des écrits de Ludwig Wittgenstein et qu'il a instrumentalisé certains de ses jeux de langage à des fins artistiques (A Rose has no Teeth, 1966). Rien ne nous laisse toutefois supposer que l'artiste ait été un lecteur assidu de Mikhaïl Bakhtine ou de J. L. Austin. Il n'en demeure pas moins que son œuvre offre des exemples significatifs, toutes périodes confondues, d'une application de ces enjeux théoriques au champ des arts plastiques. Ceci est sensible, par exemple, dans ses travaux qui interrogent le lien entre mots et actions, renvoyant, intentionnellement ou non, aux recherches de J. L. Austin sur les énoncés constatifs et performatifs.

Il va sans dire que cette dissection du langage à laquelle nous invite Nauman confère une dimension « conceptuelle » à sa démarche bien que l'artiste ait été un électron libre au sein de cette constellation de créateurs qui s'est manifestée dans la deuxième moitié des années 1960. Le simple fait qu'il ait intégré dès 1968 la galerie Konrad Fischer et qu'il ait participé à des expositions aussi emblématiques que Prospect 68 (Düsseldorf, 1968), Op Losse Schroeven : Situaties en Cryptostructuren (Amsterdam, 1969), When Attitudes Become Form (Berne, 1969), Konzeption-Conception (Leverkusen, 1969), 557, 087 (Seattle, 1969), Information (New York, 1970), sans oublier la Documenta 5 (Cassel, 1972), en dit long sur la place privilégiée que l'Américain occupe parmi cette génération d'artistes. Sa position n'en est pas moins excentrique et ses préoccupations résolument à l'écart des questions touchant à la « définition » et au « contexte » de l'art. Son excentricité est enfin d'autant plus prononcée que Nauman va peu à peu se désolidariser d'un milieu qu'il ne fréquente guère plus, préférant, à l'écart, dresser ses chevaux dans son ranch de Galisteo (Nouveau-Mexique).

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Écrit par

  • : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
  • : maître de conférences en histoire de l'art contemporain à l'université de Valenciennes, critique d'art, commissaire d'expositions

Classification

Pour citer cet article

Encyclopædia Universalis et Erik VERHAGEN. NAUMAN BRUCE (1941- ) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 31/01/2014

Autres références

  • RAW MATERIAL - OK, OK, OK (B. Nauman)

    • Écrit par
    • 208 mots

    Sur trois canaux distincts – deux moniteurs télé et une projection murale –, le visage en gros plan de l'artiste américain Bruce Nauman tourne sur lui-même répétant inlassablement les deux lettres « OK ». Ce mot, sa répétition, et le dispositif qui en amplifie l'intensité constituent...

  • BODY ART

    • Écrit par
    • 4 586 mots
    • 1 média
    ...laisserai personne descendre ici. » À partir de 1968, le geste élémentaire, répété jusqu'à l'obsession, devient aussi la base du vocabulaire corporel de Bruce Nauman. Slow Angle Walk (1968-1969) montre, par l'intermédiaire d'un enregistrement vidéo, le lent déplacement de l'artiste une heure durant pour...
  • SCULPTURE CONTEMPORAINE

    • Écrit par
    • 8 011 mots
    • 4 médias
    ...effective du corps du spectateur et de son appréhension physique, du temps, de l’espace, du mouvement. L’installation Goingaround the Corner Piece(1970) de Bruce Nauman constitue une invitation adressée clairement au spectateur-visiteur. Il s’agit de le déstabiliser et de bouleverser ses certitudes. « L’art...
  • UN TROU DANS LA VIE : ESSAIS SUR L'ART DEPUIS 1960 (J.-P. Criqui) - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 848 mots

    Un trou dans la vie. Essais sur l'art depuis 1960 (Desclée de Brouwer, 2002) réunit neuf textes, consacrés à huit artistes, composés par Jean-Pierre Criqui de 1987 à 1997 et, à une exception près (celui sur Jean Eustache), précédemment publiés dans divers catalogues monographiques ou revues d'art....