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BERNARD DÉLICIEUX (mort en 1320)

Né à Montpellier, entré chez les Frères mineurs en 1284, Bernard Délicieux était lecteur, c'est-à-dire professeur, au couvent de Carcassonne, dans lequel en 1296 plusieurs citoyens de la ville poursuivis par les inquisiteurs vinrent chercher refuge. Bernard et les autres religieux défendirent les accusés avec tant d'énergie que les poursuivants n'osèrent passer outre. L'année suivante, l'inquisiteur Nicolas d'Abbeville accusa d'hérésie un riche bourgeois, Nicolas Faure, décédé depuis près de vingt ans, en 1278. Comme il était mort entouré de Frères mineurs, Bernard le défendit énergiquement, et alla jusqu'à Boniface VIII ; s'il n'obtint pas gain de cause, il effraya assez l'inquisiteur pour faire suspendre l'affaire.

Envoyé alors comme lecteur à Narbonne, Bernard ne tarda pas à prendre parti contre les inquisiteurs d'Albi. Il se rendit deux fois auprès du roi Philippe le Bel, en 1301 et 1302. Passant à la rébellion ouverte, il ameuta les habitants de Carcassonne contre les inquisiteurs. Puis il instaura dans tout le Languedoc une ligue anti-inquisitoriale. Il espérait beaucoup de Philippe le Bel, qui arriva à Toulouse à la fin de 1303, mais le roi avait alors d'autres soucis et ne voulait pas se brouiller avec le pape Benoît XI, favorable aux inquisiteurs. Loin d'imposer ses vues, Bernard tomba sous la menace d'une arrestation à laquelle il échappa grâce au soutien des habitants de Carcassonne. Pour encourager ses partisans, il leur annonça la mort prochaine du pape, qui mourut en effet le 7 juillet 1304. Bernard triomphait, mais sa joie fut de courte durée, car Philippe le Bel apprit qu'il avait tenté de faire passer Carcassonne sous la souveraineté de Ferrand, fils du roi Jacques de Majorque. Bernard fut emprisonné et l'année suivante le nouveau pape Clément V ordonna qu'on le lui amène à Lyon. Le prévenu fut assez habile pour intéresser des cardinaux à sa cause et guider les délégués des villes qui venaient se plaindre des inquisiteurs. Son affaire traîna en longueur ; sa position s'améliora si bien qu'en 1310 il fut reçu à Chartres par le roi, qui lui pardonna.

Changeant d'activité, Bernard se retira dans un couvent d'Aquitaine et adopta les idées de Joachim de Flore et des spirituels, partageant leur goût pour la mystique et les sciences occultes. En mai 1317, sans avoir été convoqué, il eut la hardiesse d'accompagner les soixante-deux spirituels de Narbonne et de Béziers cités par Jean XXII. Cette imprudence le perdit ; le pape était un adversaire implacable des spirituels ; aucun des anciens amis de Bernard ne pouvait le suivre, et les inquisiteurs apprêtèrent leur revanche. On prépara longuement son procès avant de le faire comparaître devant un tribunal qui lui fit subir vingt-six interrogatoires accompagnés de tortures. On l'accusa d'hérésie, de mauvaise conduite — et d'avoir empoisonné Benoît XI. Bernard commença par se défendre habilement, mais les tortures, les souffrances physiques et la douleur de voir s'écrouler tout ce pour quoi il avait lutté vinrent à bout de sa résistance. Il céda et fut condamné à la dégradation et à la prison perpétuelle. Le 25 février 1320, une bulle ordonnait de le dépouiller de l'habit religieux, sentence qui aurait pu être un prélude au bûcher s'il n'était mort opportunément.

Tribun populaire et mystique exalté, Bernard Délicieux est un des personnages les plus sympathiques et les plus étonnants du xive siècle.

— Jacques DUBOIS

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Écrit par

  • : moine bénédictin, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (IVe section)

Classification

Pour citer cet article

Jacques DUBOIS. BERNARD DÉLICIEUX (mort en 1320) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • INQUISITION

    • Écrit par Marcelin DEFOURNEAUX, Yves DOSSAT
    • 5 845 mots
    • 2 médias
    ...de la torture entraînèrent une irritation générale. Des protestations s'élevèrent contre Jean Galand (1278-1293) et Nicolas d'Abbeville (1293-1302), attisées par le franciscain Bernard Délicieux. Des désordres éclatèrent. Les plaintes arrivèrent jusqu'au pape Clément V qui décida d'intervenir.

Voir aussi