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CAVANNA BERNARD (1951- )

Prix S.A.C.E.M. 1998 de la meilleure œuvre contemporaine pour Messe, un jour ordinaire, membre du comité artistique de l'Ensemble 2e2m, dévolu à la musique contemporaine, le Français Bernard Cavanna s'affirme comme un des compositeurs les plus doués de sa génération.

Né le 6 novembre 1951 à Nogent-sur-Marne, il débute l'étude du piano à l'âge de neuf ans. Dès dix ans, il s'intéresse à l'harmonie, qu'il travaille seul, et commence à composer. En 1967, il suit des cours de contrepoint à l'École normale de musique de Paris... durant trois mois ! Bernard Cavanna est en fait en grande partie autodidacte en matière de composition. En 1972, il s'inscrit en musicologie à l'université de Paris-VIII, où il fréquente notamment les cours de Francis Bayer. Sa première œuvre, Trois Poèmes, pour soprano, alto, piano et percussions, est créée à l'église des Billettes, à Paris ; il a vingt-cinq ans. L'année suivante, il rencontre les compositeurs français Paul Méfano et roumain Aurel Stroe, deux personnalités qui vont compter dans sa vie, puisque le premier le programmera au sein de son Ensemble 2e2m et qu'il travaillera la composition avec le second pendant deux ans. Il compose alors Canzone, pour flûte à bec, hautbois, violoncelle et clavecin (1978), puis, d'après des fragments d'Eschyle, Io, pour mezzo-soprano, chœur et dix instruments (1980-1981).

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Entre 1982 et 1985, son activité de compositeur s'oriente vers le théâtre : il devient le collaborateur musical de Jean Gillibert, d'Antoine Vitez, de Stuart Seide, de Daniel Martin. Son œuvre s'enrichit de diverses pièces instrumentales. Pensionnaire de la Villa Médicis à Rome en 1985 et 1986, il y rencontre des cinéastes comme Pierre-Henry Sarfaty ou Alain Fleischer, travaille très étroitement avec le saxophoniste Daniel Kientzy, pour qui il écrit Sax Domine (1985) et Goutte d'or blues (1986), œuvre sur laquelle Angelin Preljocaj signera une chorégraphie.

Tout en continuant de travailler pour le théâtre et le cinéma, Cavanna se met ensuite à la composition d'un opéra, La Confession impudique, sur un livret de Daniel Martin d'après Kagi de Tanizaki Jun'ichirō ; cet ouvrage est créé en 1992 au festival Musica de Strasbourg (une deuxième version sera créée à Orléans en janvier 2000).

Ces diverses activités ne l'empêchent pas d'accepter en 1987 le poste de directeur de l'École nationale de musique de Gennevilliers, ou d'assumer des responsabilités artistiques au sein de l'Ensemble 2e2m.

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Citons, parmi ses œuvres les plus représentatives, Messe, un jour ordinaire (première version créée en 1994 au festival Musica de Strasbourg ; version définitive créée à La Rochelle en 1996), Trio avec accordéon no 1 (1996), Concerto pour violon (1999), La Confession impudique (1992 et 2000), Trois Chants cruels, pour soprano et orchestre (2001 et 2006), Quatre Mélodies en tonalité avec date de péremption, pour mezzo-soprano et ensemble de violoncelles (12e Rencontres d'ensembles de violoncelles, Beauvais, 2004), Trois strophes sur le nom de Patrice Lumumba, pour alto solo, viole de gambe, deux contrebasses, harpe et timbale (2008) et, d'après le pamphlet de Louis-Ferdinand Céline, À l'agité du bocal, pour trois ténors et un ensemble instrumental (2013).

Cavanna aime à faire s'opposer dans sa musique « l'idée de l'individu à celle du groupe », mais l'individu agit chez lui comme un « électron libre dans un environnement hostile », comme l'écrit Aurel Stroe dans une analyse consacrée à la musique de son élève. Ce fait est frappant dès Messe, un jour ordinaire, et plus encore dans son Concerto pour violon. Dans cette dernière œuvre, en effet, les masses orchestrales, de densité variable, n'ont de cesse d'interrompre la volubilité du violon soliste. Cavanna obtient de tels contrastes grâce à une technique singulière de variations qu'il applique aux caractéristiques modales autant qu'aux blocs harmoniques qu'il articule successivement. De fait, le rapport que ce créateur entretient entre le « vertical » et « l'horizontal » n'est pas sans surprendre. Car Cavanna crée des trames – harmoniques ou mélodiques – conçues autour d'intervalles spécifiques, souvent complémentaires, qu'il aime à superposer ou à opposer. Sans jamais se fondre, ces trames, tout en formant des textures dont l'épaisseur et la densité varient, sont la dynamique même des contrastes que le compositeur s'évertue à faire naître. Ainsi, l'univers harmonique de Cavanna évolue au sein de blocs harmoniques qui sont autant de mondes clos sur eux-mêmes. C'est pourquoi son travail compositionnel se focalise, d'une part, sur les relations à établir entre ces blocs (à travers les proportions et les décalages spatio-temporels chargés de les mettre en évidence), d'autre part, sur les trames linéaires et mélodiques (chargées de gérer le discours dynamique et expressif de sa musique). Son écriture est ainsi fondée sur cette dialectique incessante entre statisme et dynamisme. Opérant sur ce matériau coupes et découpes, Cavanna travaille à son étirement et à sa condensation. Le résultat – horizontal, vertical et transversal – obtenu est le fruit de diverses « focales » sonores (pour emprunter un terme à la photographie), de divers regards portés par le créateur sur son matériau de base. Une image vient à l'esprit, celle d'un tableau que l'on regarderait en posant dessus une feuille de papier découpée faisant office de fenêtre, et qui délimiterait, suivant son déplacement et sa position sur la surface du tableau, des champs de vision partiels, spécifiques et successifs. Une telle démarche entraîne une pensée dualiste fondée sur des entités opposées : stabilité-instabilité, mobilité-immobilité, solidité-fluidité... De là les contrastes puissants de cette musique qui refuse la fusion, ou, pour parler la langue des alchimistes, le « coagula ».

La problématique sera bien évidemment identique pour tous les genres musicaux pratiqués par ce compositeur. Dans son opéra La Confession impudique, chacun des deux protagonistes est ainsi associé à un bloc harmonique spécifique : celui du Mari est fondé sur des quartes et des quintes, celui de la Femme sur des quartes augmentées, des sixtes et des tierces. Cette « complémentarité » en termes d'intervalles est en outre issue d'une démarche modale, le plus souvent non octaviante, c'est-à-dire utilisant des échelles infrachromatiques, et qui, de plus, engendre des polarisations sur certaines hauteurs, développées ensuite en figurations variées. Dans le contexte d'un opéra, ces éléments sont porteurs d'une forte charge émotionnelle, expressive, symbolique et psychologique. Adepte du contrepoint (qu'il emploie le plus souvent à l'exemple de Ligeti) et de la modalité (dont il se sert au sein d'un contexte atonal élargi aux micro-intervalles), Cavanna traque dans ses partitions la vie fuyante et imprévisible.

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Son œuvre est porteuse d'une charge critique qui manifeste la volonté (au-delà du sens afférent aux textes qu'il choisit et au-delà de son détournement fonctionnel de la syntaxe musicale) d'ébranler nos certitudes, de fragiliser nos convictions, de soulever nos questionnements. Sa Messe, un jour ordinaire en est un exemple puisque s'interpellent ici la parole collective et rituelle de la messe (où le créateur nous rend sensible la perte de sens du texte sacré) et la parole individuelle se heurtant à l'idéologie d'une société ayant perdu son âme (par le biais de textes dus à Nathalie Méfano, poète qui succomba à la drogue). Dans Quintette, pour hautbois, cor anglais, deux violoncelles et harpe (2001), on retrouve la préoccupation propre à ce créateur toujours à la recherche de formations atypiques qui le conduisent, avant même l'élaboration de l'œuvre, à déterminer une « façon de penser, d'organiser, de mettre en scène » mais aussi, au cours de l'écriture, à se confronter à des contraintes, à résoudre des antinomies et des contradictions entre tessitures, intensités et timbres riches de solutions originales.

— Alain FÉRON

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Écrit par

  • : compositeur, critique, musicologue, producteur de radio

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