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ART BRUT

Les irréguliers de l'art : une problématique

Dans l'acception que lui donne le peintre Jean Dubuffet, le concept d'« art brut » s'applique à « des productions de toute espèce – dessins, peintures, broderies, figures modelées ou sculptées – présentant un caractère spontané et fortement inventif, aussi peu que possible débitrices de l'art coutumier ou des poncifs culturels, et ayant pour auteurs des personnes obscures, étrangères aux milieux artistiques professionnels ».

Art brut, art naïf, art psychopathologique

Il importe de ne pas confondre les productions ainsi étiquetées du nom d'art brut – et auxquelles il convient d'ajouter manuscrits et écrits divers – avec telles formations naturelles, ou objets de rebut, auxquelles le goût du temps nous porte à prêter une vertu esthétique, et moins encore avec d'autres produits dont notre époque se veut particulièrement friande et qu'elle classe, sans trop de rigueur, sous les rubriques d'art dit « naïf », d'art enfantin ou d'art prétendu « primitif ». La ligne de partage que dessine dans le champ esthétique la prise en considération de l'« art brut », cette ligne ne passe pas à l'intérieur de la culture, et ce n'est pas davantage du point de vue de celle-ci qu'on devra juger de productions qui contraignent l'esprit à une conversion radicale. Quant aux rapports de l'art brut avec l'art psychopathologique, une formule – empruntée au manifeste de la première grande exposition de l'art brut tenue à Paris en 1949 – permet d'en décider : « Il n'y a pas plus d'art des fous que d'art des dyspeptiques ou des malades du genou », la fonction d'art étant partout la même, chez l'aliéné comme chez l'individu réputé normal, encore que chez ce dernier elle trouve rarement à s'exercer hors de toute contrainte sociale et sans référence à quelque règle ou modèle culturel que ce soit, libre cours étant laissé à une impulsion, à une nécessité qui ne saurait se satisfaire que des inventions les plus personnelles, les moins prévisibles.

L'art brut et la division du travail

Il n'y a pas d'art psychopathologique ; l'aliénation – la « folie » – n'est en aucun cas le ressort de la création (sauf à y intervenir à titre de cause occasionnelle, de facteur propre à favoriser, comme on le voit chez certains schizophrènes, la rupture avec les normes culturelles, celles-là qui ont prise sur les couches les plus superficielles de la psyché). D'autre part, les productions de tels que la société exclut de son ordre (ou qui choisissent de s'en exclure) témoignent, dans leur forme autant que dans leur référent, d'une variété, d'une capacité d'invention qui étonne, ne présentant guère, en fait, de traits communs que la marque d'une égale différence, d'un écart comparable par rapport à l'art établi. Ces œuvres enfin, pour étrangères qu'elles soient au circuit institutionnel de la production et de la consommation d'art, n'en possèdent pas moins un pouvoir d'attraction, une efficace d'autant plus surprenante qu'elles ne sont pas destinées à l'usage d'autrui ; pas plus d'ailleurs qu'à celui de leur auteur, lequel est généralement moins intéressé à leur conservation qu'à leur production, au procès de cette production, exclusif de toute idée d'achèvement, voire de tout repentir, de toute correction en cours d'exécution. Des spécialistes s'en étaient aperçus de longue date : Hans Prinzhorn, le docteur Morgenthaler, avec sa monographie sur Wölfli, et d'autres encore, qui surent très tôt reconnaître la qualité des travaux du mineur Lesage ou d'un Scottie Wilson.

Mais on doit à Jean Dubuffet, peintre homologué[...]

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Pour citer cet article

Hubert DAMISCH et Hervé GAUVILLE. ART BRUT [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 10/02/2009

Média

<em>Musicien</em>, A. Wölfli - crédits : Sepia Times/ Universal Images Group/ Getty Images

Musicien, A. Wölfli

Autres références

  • ART BRUT JAPONAIS II (exposition)

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    • 1 média

    En présentant Art brut japonais II (8 septembre 2018 - 10 mars 2019), la Halle Saint-Pierre reste fidèle à sa prédilection pour les arts singuliers. Pluriel par son inspiration, les techniques et les supports matériels utilisés, l’art brut, initialement opposé aux beaux-arts depuis l’invention du...

  • ALOÏSE ALOÏSE CORBAZ dite (1886-1964)

    • Écrit par
    • 977 mots

    Aloïse Corbaz est aujourd'hui connue sous son seul prénom, pour être devenue l'une des artistes majeures de la Collection de l'art brut fondée par Jean Dubuffet. Née le 28 juin 1886 à Lausanne, Aloïse Corbaz est la fille de François Corbaz, employé des Postes suisses et agriculteur,...

  • CHAISSAC GASTON (1910-1964)

    • Écrit par
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    Il est arrivé à Chaissac de rêver de Picasso. Un songe difficile à concilier avecl'art brut défini par Dubuffet comme exécuté « par des personnes indemnes de culture artistique », auquel on a longtemps rattaché son ami vendéen. Il est vrai que Chaissac aura évolué depuis ses débuts. Il n'a pas échappé...
  • CHAISSAC-DUBUFFET (expositions et livre)

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    ...interlocuteurs, Jean Paulhan, – directeur de la Nouvelle Revue française – joue les passeurs, et le met en contact en 1946 avec Jean Dubuffet, alors en quête d’un art hors normes, qu’il qualifiera d’« art brut ». Chaissac, qui se voit en « peintre rustique moderne », donne le coup d’envoi de l’échange...
  • DUBUFFET JEAN (1901-1985)

    • Écrit par
    • 2 687 mots
    L'autre versant de son opposition à la culture dominante a ses racines en Suisse où, à partir de 1945, il constitue une collection d'œuvres d'art réalisées par des « marginaux » qui ne sont pas influencés par un savoir artistique, et cette opposition se poursuit à Paris par la création avec André Breton,...
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