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KRIEGEL ANNIE (1926-1995)

Née le 9 septembre 1926, dans une famille juive alsacienne réfugiée dans la capitale depuis 1870, Annie Kriegel, née Becker, échappe, le soir même de son succès au baccalauréat, à la rafle du Vél' d'Hiv', le 16 juillet 1942. En dépit des risques encourus, elle passe avec sa famille en zone sud, se retrouve à Grenoble et entre dans la Résistance, se rattachant au premier groupe rencontré : la M.O.I., organisation communiste des militants étrangers (en particulier juifs d'Europe de l'Est) qui, dès 1943, mène la guérilla urbaine contre l'occupant allemand. Elle connaît alors une expérience à la fois exaltante et tragique – la plupart de ses camarades seront fusillés – qui va commander son engagement communiste pendant plus d'une décennie.

Femme d'action, femme engagée, Annie Kriegel devient responsable puis, en 1951, permanente communiste. Chargée, pour le département de la Seine, des intellectuels, elle regroupe sous sa houlette la fine fleur des futurs universitaires qui s'engagent en communisme (Maurice Agulhon, Alain Besançon, François Furet, Emmanuel Le Roy Ladurie, Michel Verret...). Elle dirige La Nouvelle Critique, la revue idéologique du P.C.F. à destination des intellectuels, et donne libre cours à un aspect de sa personnalité : la passion de la justice poussée à l'extrême dans l'engagement politique et idéologique.

En 1956, la dénonciation par Khrouchtchev des crimes de Staline et l'écrasement de la révolution hongroise par les chars russes la font basculer. Annie Kriegel se révèle sous un jour nouveau : femme de rigueur intellectuelle animée de la passion de la vérité. L'ancienne élève de l'École normale supérieure de Sèvres, agrégée d'histoire, réinvestit dans le champ de la recherche les interrogations auxquelles la politique n'a pu répondre. En 1964, coup de tonnerre dans le ciel des historiens : elle soutient et publie sa thèse, considérable et pionnière, intitulée Aux origines du communisme français. Non seulement l'auteur est une femme – une des premières en histoire –, mais surtout sa démarche va doublement à contre-courant : sur le plan épistémologique, elle heurte l'école historique française, où l'histoire contemporaine n'a pas encore acquis ses lettres de noblesse et qui accepte mal qu'un acteur historique bien vivant, le P.C.F., devienne objet d'histoire immédiate ; sur le plan méthodologique, elle affronte la nouvelle école historique, dite “des Annales”, qui privilégie la longue durée et les structures, et rejette l'“histoire-bataille”. Or, dans son remarquable travail, Annie Kriegel fonde une histoire contemporaine qui repose sur une documentation sans faille – même si des pans d'archives sont encore fermés – et qui réhabilite l'événement, la conjoncture, et donc l'histoire politique. Avec elle, le communisme fait son entrée dans l'histoire savante.

En 1968, elle publie Les Communistes français. Essai d'ethnographie politique, ouvrage devenu classique sur l'analyse des partis communistes, où elle fait montre d'une grande puissance conceptuelle ; introduisant la notion de “contre-société”, elle mêle histoire, sociologie et ethnologie. En 1972, avec Les Grands Procès dans les systèmes communistes. La pédagogie infernale, elle propose une interprétation brillante et profonde de l'un des aspects les plus énigmatiques du système stalinien : le moment où la révolution dévore ses enfants. Fondatrice en 1969 de la chaire de sociologie politique à l'université Paris-X, à Nanterre, elle cristallise autour d'elle, à la fin des années 1970, une équipe de jeunes chercheurs avec qui elle fonde, en 1981, Communisme, l'une des seules revues universitaires, sur le plan mondial, consacrées à l'étude du phénomène communiste. En[...]

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Écrit par

  • : directeur de recherche honoraire au CNRS, docteur en histoire habilité à diriger des recherches

Classification

Pour citer cet article

Stéphane COURTOIS. KRIEGEL ANNIE (1926-1995) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • THOREZ MAURICE (1900-1964)

    • Écrit par Annette WIEVIORKA
    • 1 438 mots

    Après le décès de Maurice Thorez le 12 juillet 1964 sur le paquebot Litva qui l’emmenait pour ses vacances sur les bords de la mer Noire, Jeannette Vermeersch, sa seconde épouse, écrivait à Nikita Khrouchtchev, alors premier secrétaire du Parti communiste de l’Union soviétique : « Maurice est mort...