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BERTRAND ALOYSIUS (1807-1841)

L'alchimiste

Car, avec une infinie pudeur, le poète étouffe ses sanglots et laisse s'évaporer ses larmes comme une rosée matinale. Il est tendu vers le secret de l'alchimie poétique, que Ramon Lulle ne peut lui découvrir. Les manuscrits de Gaspard de la nuit, les ébauches publiées dans divers journaux attestent un effort inlassable de correction et de concision. En quelques alinéas, Aloysius Bertrand trousse une scène de comédie, narre une aventure plaisante ou terrible, fait sourdre « le gargouillement burlesque de lazzi et de roulades » arraché à sa viole bourdonnante, « comme si elle eût au ventre une indigestion de comédie italienne ». Tantôt, pour camper une silhouette, il retrouve la sécheresse de Callot ; tantôt, penché sur sa phrase comme un sorcier sur ses cornues, il mélange savamment, à la manière de Rembrandt, le clair et l'obscur.

Sans doute est-il inégal. Mais il use avec un goût infaillible des termes archaïques ou dialectaux (« aiguail », « pourpris »), il mesure l'impertinence d'un néologisme (« fanfarant »), il sent le rythme secret de la période et l'harmonie des mots enchevêtrés. Il excelle surtout dans l'art d'évoquer une vision qui se dissipe : Ondine s'évanouit en giboulées qui ruissellent blanches le long des vitraux et le corps de Scarbo bleuit, diaphane comme la cire d'une bougie, puis s'éteint.

Il eut le sentiment d'écrire un livre anachronique en cherchant à restaurer « les histoires vermoulues et poudreuses du Moyen Âge », à une époque où « toute tradition de guerre et d'amour s'oublie ». Mais il avait trouvé la « note éternelle » passionnément recherchée par Baudelaire.

— Pierre BRUNEL

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Écrit par

  • : professeur émérite de littérature comparée à l'université de Paris-Sorbonne, membre de l'Académie des sciences morales et politiques

Classification

Pour citer cet article

Pierre BRUNEL. BERTRAND ALOYSIUS (1807-1841) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • POÈME EN PROSE

    • Écrit par Jacques JOUET
    • 1 013 mots

    La frontière qui sépare la poésie de la prose n'est guère indiscutable qu'aux yeux de ceux qui réduisent la poésie à la seule versification. Pourtant, cette frontière — son tracé ou bien son existence même — n'a jamais cessé d'être contestée de toutes parts, à toutes les époques....

Voir aussi