Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

VIGNY ALFRED DE (1797-1863)

  • Article mis en ligne le
  • Modifié le
  • Écrit par

La coupe du scepticisme

Cependant, à partir de 1830, Vigny s'assombrit. La révolution de Juillet l'obligea à prendre conscience d'un pessimisme politique que les erreurs répétées des gouvernements de la Restauration avaient éveillé en lui et qui perçait dans Cinq-Mars, roman de la noblesse écrasée par le pouvoir monarchique. Devait-il reprendre du service et voler au secours d'un roi déconsidéré ? La rapidité du dénouement des Trois Glorieuses l'empêcha de conclure posément son examen de conscience. Engagé dans la garde nationale, dont il commanda, pendant deux années, une compagnie, il ne put accorder toute sa confiance à Louis-Philippe, hissé sur le trône par une bourgeoisie d'argent qu'il méprisait. Il espéra trouver un réconfort politique du côté des saint-simoniens et des chrétiens regroupés autour de Lamennais. Mais, dès 1831, il confessa son désappointement dans « Paris », composition d'un genre nouveau, plus ambitieuse que le « poème », qu'il appelait « élévation ». Il se sentait d'autant plus morose que, dans le même temps, il mesurait toute la distance qui le séparait désormais de la croyance en la divinité de Jésus. Il était bien le frère de ces « Amants de Montmorency » dont le suicide venait de lui inspirer une autre « élévation », amèrement conclue : « Et Dieu ? – Tel est le siècle, ils n'y pensèrent pas. »

Il ne lui restait plus, pour vider la coupe du scepticisme, qu'à douter de l'amour humain. C'est la leçon qu'il tira de sa liaison avec Marie Dorval, laquelle créa, dans Chatterton (1835), le rôle de Kitty Bell. Déçu, trompé peut-être, il se persuada que la lutte des sexes était inscrite dans la destinée de l'humanité, et il se prit pour un nouveau Samson.

Les œuvres contemporaines de cette crise décisive se signalent par leur lucidité et, le plus souvent, par leur noirceur. L'isolement du poète : telle est l'« idée » qui gouverne les trois récits de Stello (1832), selon la technique romanesque recommandée dans la préface de Cinq-Mars. La légèreté de Louis XV condamne Gilbert à mourir de faim. Le fanatisme de Robespierre, tyran républicain, mène Chénier à l'échafaud. L'égoïsme de Beckford, lord-maire de Londres, provoque le suicide de Chatterton. Le pouvoir, quel qu'il soit, frappe donc le poète d'un « ostracisme perpétuel ». Tout en dénonçant une malédiction qui le menaçait lui-même, Vigny entreprit de la comprendre et de la combattre. Au lieu de rejeter l'entière responsabilité du conflit sur les ennemis du poète, il soumit Stello à une sorte d'examen psychanalytique, mené par le « docteur Noir ». Ce dernier, qui traite la victime en malade, lui prescrit de « séparer la vie poétique de la vie politique » et d'observer vis-à-vis de la société une « neutralité armée ». Mais Vigny voulut aussi exorciser le mal en portant sur la scène l'agonie de Chatterton. Ce fut le triomphe de sa carrière d'homme de théâtre. Le drame de Chatterton éclipsa le mélodrame de La Maréchale d'Ancre (1831) et l'acte comique de Quitte pour la peur (1836).

Le pessimisme de Stello et de Chatterton n'a d'égal que celui de Servitude et grandeur militaires (1835). Il convenait que Vigny rendît témoignage de ses déboires militaires comme de ses désillusions politiques. Il composa de nouveau un triple récit, dont il tirait l'argument de ses propres souvenirs. Du soldat il fit un frère du poète, un « paria », tenu à l'écart de la communauté par l'exercice de l'« obéissance passive » ou la fascination du séidisme. Mais il associa au constat de sa servitude la révélation de sa grandeur. Il donna en exemple à ses contemporains, accablés par le « naufrage universel des croyances », la destinée du capitaine Renaud, martyr de la non-violence, prophète[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, docteur ès lettres, directeur du centre de recherches révolutionnaires et romantiques, professeur de littérature française à l'université de Clermont-II

Classification

Pour citer cet article

Paul VIALLANEIX. VIGNY ALFRED DE (1797-1863) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Autres références

  • CHATTERTON THOMAS (1752-1770)

    • Écrit par
    • 421 mots

    Poète anglais dont la renommée a sans doute dépassé l'importance d'une œuvre brutalement interrompue par une mort tragique. Le suicide à dix-huit ans de Thomas Chatterton a certes contribué à accréditer le mythe du poète, ami des dieux mais victime de la société bourgeoise dont l'argent est l'idéal...

  • LES DESTINÉES, Alfred de Vigny - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 691 mots

    Les Destinées est un recueil posthume de poèmes d'Alfred de Vigny (1797-1863), publié en 1864. Il se compose de onze poèmes, écrits entre 1839 et 1863, marqués chacun par un profond pessimisme, où l'on retrouve le désenchantement des récits de Stello (1832) ou du drame de Chatterton...

  • DRAME - Drame romantique

    • Écrit par
    • 4 598 mots
    • 5 médias
    ...Venise qui avait eu un succès d'estime, un Shylock qu'il ne réussit pas à faire monter et un drame raté, La Maréchale d'Ancre (1831), Alfred de Vigny revient au théâtre par et pour l'amour de Marie Dorval : il écrit Chatterton (1835), drame de l'artiste contraint au suicide...