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ACTEUR

« Naturel » et réalisme

Les figures du paradoxe

Si l'Église ne désarme pas, l'engouement pour les acteurs continue de se manifester au travers d'innovations et de polémiques qui traversent tout le siècle. L'imitation de la nature reste le référent obligé, à la fois de l'esthétique théâtrale et de celle de l'art de l'acteur. Mais cette mimésis change de signification : elle se tourne peu à peu vers plus de vérité, de naturalité, d'authenticité. Dès 1752, Mlle Clairon rompt avec la déclamation, tandis que Lekain et Larive transforment les costumes traditionnels de la tragédie en supprimant les faux cheveux, les fausses hanches, les talons rouges, au profit de costumes plus proches de la vérité historique.

La révolution introduite par la Clairon fait florès. Au nom de la nature, l'on veut rompre avec ce qu'Horace appelait déjà « ampullas et sesquipedalia verba », c'est-à-dire « des sentences, des bouteilles soufflées, des mots longs d'un pied et demi ». Diderot va se faire quant à l'esthétique théâtrale le héraut de cette évolution prônant le « naturel ». À la déclamation classique soutenue par des techniques d'amplification et de modulation, il prétend, en se fondant sur l'expérience marginale de la Clairon, substituer « ce qui émeut toujours », c'est-à-dire « des cris, des mots inarticulés, des voix rompues, quelques monosyllabes qui s'échappent par intervalles, je ne sais quel murmure dans la gorge entre les dents ». La nouvelle déclamation suppose évidemment une nouvelle mise en espace du corps : le comédien s'assoit, se lève, traverse le plateau en courant, s'évanouit, ose jouer de dos, bref se livre à toutes les activités réalistes que suppose l'expression d'une passion. Le geste, au lieu d'être codifié, se voit individualisé par l'étude historique du personnage, son approche psychologique et un travail quotidien d'observation et d'entraînement. Ainsi la Clairon conseille-t-elle à des élèves : « N'oublie pas que la pensée doit projeter sur le visage toutes les nuances et les degrés d'un sentiment, qu'elle guide le geste ou l'attitude [...], qu'enfin la parole suffit comme un écho, un prolongement de la pensée. » Et encore : « Condamne-toi à vivre avec les personnages que tu incarneras. » Elle-même n'hésitait pas, dans l'Oreste de Voltaire, à créer une pantomime où pour parvenir à pleurer « elle joignait à des accents douloureux une contraction de l'estomac qui faisait trembler tout son corps ». C'est moins ici la matérialité du corps qui est décrite que le mouvement des passions qui l'agitent.

Ces changements s'incluent dans un questionnement esthétique qui traverse toute la seconde moitié du xviiie siècle et qui fera triompher le théâtre révolutionnaire. La Clairon et la Dumesnil figurent les positions antagonistes auxquelles se réfère Diderot dans son Paradoxe sur le comédien. La Clairon, novatrice et jalouse de ses innovations, garde la tête froide et reproduit soir après soir ce que l'érudition et les répétitions ont construit, « un modèle » emprunté à l'histoire ou façonné par son imagination, une figure exemplaire, « l'âme d'un grand mannequin ». En revanche, la Dumesnil, bouillante et exaltée, « monte sur les planches sans savoir ce qu'elle dira : la moitié du temps, elle ne sait ce qu'elle dit, mais il vient un moment sublime ». Toutefois, l'inspiration ne produit pas tous les soirs le même effet, et parfois la comédienne joue sans relief, de manière plate et froide. Diderot décrit ici deux types de comédiens qui, ayant rompu avec le code classique, préfigurent deux approches du travail de l'acteur, approches parfois moins contradictoires qu'il n'y paraît. Mais le paradoxe sera commenté, interprété par des générations[...]

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Classification

Pour citer cet article

Dominique PAQUET. ACTEUR [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Scène de kabuki - crédits : Herve Bruhat/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Scène de kabuki

Sur les quais, E. Kazan - crédits : Hulton Archive/ MoviePix/ Getty Images

Sur les quais, E. Kazan

Autres références

  • PERSONNAGE, notion de

    • Écrit par Christophe TRIAU
    • 1 439 mots

    Notion a priori simple que celle de « personnage », qui désigne l'équivalent fictif de la personne humaine, tel qu'il est employé dans une œuvre littéraire et, dans le cas du théâtre, incarné sur scène par un acteur. Personne fictive, toute la complexité de cette notion est...

Voir aussi