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CAMPANELLA TOMMASO (1568-1639)

La métaphysique primalitaire

Une conception triadique de l'être en général (créé et incréé) sous-tend toute la vision campanellienne du réel. Rationalisation évidente de la doctrine théologique des vestiges de Dieu dans la création, elle retrouve à tous les niveaux de l'être, et selon des modalités variables, les trois « proprincipes » ou « primalités » qui essentient Dieu (Metaphysica, Paris, 1638). Campanella soutient que même une raison non éclairée par la Révélation peut retrouver en elle la clé de ce secret. C'est ainsi que les habitants de la Cité du Soleil (composée en 1602) « adorent Dieu sous forme de Trinité, autrement dit Puissance souveraine d'où procède suprême Sagesse, engendrant l'une et l'autre le suprême Amour [...]. Toute chose est composée de puissance, de sagesse et d'amour dans la mesure où elle a l'être ; elle est privée de puissance, de sagesse et d'amour dans la mesure où elle participe du non-être » (trad. A. Tripet).

Mais la doctrine des primalités – seul élément de la métaphysique campanellienne que l'on puisse évoquer ici – n'est pas seulement un puissant outil pour pénétrer les arcanes de la nature et pour entrevoir l'insondable mystère de la divinité Triune. Campanella la met aussi au service de son idéal politique et de ses projets missionnaires. Dans la Cité du Soleil, le chef suprême n'est autre que le Prêtre-Métaphysicien, sous les ordres duquel se tiennent trois princes. Le premier, Pon (ou Potestas), a en charge la paix et la guerre. Le deuxième, Sin (ou Sapientia), est responsable de toutes les sciences, qu'il a fait peindre à des fins didactiques sur six des sept murailles circulaires de la Cité. Enfin, Mor (ou Amor) commande les accouplements et l'éducation des enfants engendrés selon les règles strictes d'un « eugénisme » à base astrologique et médicale. À côté d'autres aspects de l'utopie campanellienne tels que la communauté des biens et celle des femmes, dont la présence n'est pas nouvelle dans la littérature du genre, cette organisation politique et religieuse de la société idéale sous un triumvirat qui correspond à la structure ontologique de l'être doit être soulignée. De même, c'est en invoquant le triple vestige divin imprimé en l'âme humaine que Campanella défend, contre le machiavélisme athée, le caractère « naturel » et non « politique » de la religion (Atheismus triumphatus, Rome, 1631) et qu'il convie les peuples païens qui ignorent ou qui combattent le christianisme à se « souvenir et à revenir vers le Seigneur » (Quod reminiscentur).

Il y a chez Campanella beaucoup plus que « l'heureuse mémoire et la féconde imagination » dont Mersenne (1588-1648) l'a gratifié. Par un effort véritablement titanesque, cet homme seul et persécuté a tenté de reconstruire l'encyclopédie du savoir pour la mettre en phase avec les temps nouveaux. Si son échec était inscrit dans les données mêmes d'un projet qui n'était ni nécessaire ni réalisable, Campanella n'en occupe pas moins une place de choix parmi les grands penseurs du tournant du xvie au xviie siècle qui – fût-ce à leur corps défendant – ont préparé l'avènement du rationalisme classique en mettant en crise la physique et la métaphysique aristotéliciennes, noyaux de la vision du monde alors dominante.

— Michel-Pierre LERNER

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Pour citer cet article

Michel-Pierre LERNER. CAMPANELLA TOMMASO (1568-1639) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • LA CITÉ DU SOLEIL, Tommaso Campanella - Fiche de lecture

    • Écrit par Raoul VANEIGEM
    • 1 221 mots

    Les réserves, voire l'aversion, qu'éveille l'utopie totalitaire proposée par le dominicain calabrais Tommaso Campanella (1568-1639) tranchent étrangement avec l'admiration que suscitent le courage et la détermination dont il fit preuve dans les effroyables prisons où s'écoula la...

  • SOCIÉTÉ (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 3 564 mots
    ...le chemin choisi par les constructeurs d’utopie, tels Thomas More (1478-1535) – dont l’ouvrage L'Utopieest à l’origine du mot – ou Tomaso Campanella (1468-1539) – auteur de La Cité du Soleil – qui ont présenté comme immédiatement réalisables des sociétés égalitaires où se résoudraient...
  • UTOPIE

    • Écrit par Henri DESROCHE, Joseph GABEL, Antoine PICON
    • 12 040 mots
    • 2 médias
    ... même l'avait légèrement devancé avec son Éloge de la folie (1511). Un peu plus tard (1623), après l'échec de son soulèvement en Calabre, Campanella, du fond de sa geôle, lance sa dramatique et capiteuse Cité du Soleil, joyau de ce qu'on a pu nommer « l'héliocentrisme de la Renaissance...