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TECHNIQUE

Technique et politique

L'époque contemporaine est sans doute la première à avoir posé explicitement et effectivement dans tous les domaines le grand problème politique : non pas seulement comme lutte pour le pouvoir à l'intérieur d'institutions politiques données, ni pour la transformation de ces institutions et de quelques autres, mais comme problème de reconstruction totale de la société, remettant en cause aussi bien la cellule familiale que le mode d'éducation, la notion de déviance et de criminalité tout aussi bien que les rapports existant entre la « culture » et la vie...

Certes, les grands « utopistes » du passé, et en particulier Platon, le premier et le plus radical d'entre eux, n'avaient reculé ni devant le bouleversement de l'éducation, ni devant la suppression de la famille traditionnelle ; on peut même en trouver qui reprennent à zéro le cadre naturel de la société. Une seule donnée reste pour eux tous intangible : la technologie elle-même. Et cela, malgré quelques formulations des manuscrits de jeunesse, demeure vrai pour le Marx du Capital : la technologie capitaliste lui apparaît comme la rationalité incarnée ; il en décrit et dénonce certes les conséquences inhumaines, mais celles-ci découlent essentiellement de l'utilisation capitaliste d'une technologie positivement valorisée en soi. La technologie et la sphère de la vie sociale en contact direct avec elle, c'est-à-dire le travail, ne sont plus pour lui des objets de réflexion et d'action politique : ils appartiennent, selon sa fameuse phrase, au « royaume de la nécessité » sur lequel le « royaume de la liberté » ne peut s'ériger que moyennant, au premier chef, la réduction de la journée de travail. Les marxistes russes de l'époque de la Révolution ont poussé cette idée à ses conséquences extrêmes : Trotski allant jusqu'à écrire que le taylorisme était mauvais dans son usage capitaliste, bon dans un usage socialiste (Terrorisme et communisme) et Lénine posant la somme de l'électrification et des soviets comme équivalant au socialisme. Il est superflu de revenir (voir La « neutralité » de la technique , in chap. 1) sur le caractère fallacieux de la séparation des moyens et des fins, qu'on a pu, dans le cas russe, vérifier expérimentalement. Mais, s'il était vrai qu'« au moulin à eau correspond la société féodale, et au moulin à vapeur la société bourgeoise », comme l'écrivait Marx, à la centrale nucléaire, à l'ordinateur et aux satellites artificiels correspondrait alors la forme présente du capitalisme américain et mondial, et l'on ne voit ni pourquoi ni comment l'on pourrait ériger là-dessus une autre « superstructure » politique et sociale.

La technologie en question

Actuellement, c'est la technologie elle-même qui commence à être explicitement mise en question. Cela a été fait d'abord dans le domaine du travail (Chaulieu). On prit en effet conscience de l'impossibilité d'envisager, de façon cohérente, une transformation socialiste de la société sans une modification radicale du procès du travail lui-même, qui impliquait à son tour la transformation consciente de la technologie par les travailleurs en régime de gestion ouvrière. Depuis quelques années, ce genre de préoccupation a été supplantée par une autre qui met surtout l'accent sur les conséquences écologiques de la technologie contemporaine ; les critiques semblent d'ailleurs en viser beaucoup plus les conséquences que la substance, et appeler davantage sa limitation ou le retour à des techniques traditionnelles « douces » ou « naturelles » que la recherche organisée et systématique d'un nouvel « ensemble technique ».

Autant ou plus que dans les problèmes des nouvelles formes de vie familiale ou d'éducation, les discussions[...]

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Classification

Pour citer cet article

Cornélius CASTORIADIS. TECHNIQUE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • TRAVAIL/TECHNIQUE (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 2 943 mots

    Le travail humain est-il dès l’origine « technicien », ou est-il devenu technique au fil des millénaires ? Parce que les liens entre le travail et la technique n’ont cessé d’évoluer au cours de l’histoire, une réponse univoque ne peut être donnée. Pour Aristote (env. 385-322 av....

  • MÉDIUM ET TECHNIQUE(arts)

    • Écrit par Jean-Pierre MOHEN
    • 1 117 mots

    Rapprocher les notions de « médium » et de « technique » revient à s'intéresser à deux aspects de la création, celui du moyen de communication (medium en latin) et celui de la genèse de l'œuvre (technè en grec signifie technologie et intention théorique). Or la relation entre...

  • ARCHITECTURE CONTEMPORAINE - Construire aujourd'hui

    • Écrit par Antoine PICON
    • 6 531 mots
    • 3 médias

    Plus encore que d'autres dimensions de la discipline architecturale, le rapport de l'architecture aux techniques témoigne de l'épuisement des idéaux modernistes, tels qu'ils avaient été formulés au début du xxe siècle par des architectes comme Gropius, Mies van der Rohe et...

  • AUTOMATISATION

    • Écrit par Jean VAN DEN BROEK D'OBRENAN
    • 11 882 mots
    • 12 médias
    Une automatisation est une technique ou un ensemble de techniques ayant pour but de réduire ou de rendre inutile l'intervention d'opérateurs humains dans un processus où cette intervention était coutumière. Il n'y a évidemment pas automatisation lorsque l'opérateur humain est remplacé par la force animale,...
  • CITÉ DES SCIENCES ET DE L'INDUSTRIE

    • Écrit par Michel VAN-PRAËT
    • 1 714 mots
    • 2 médias
    ...éclairer les grandes problématiques contemporaines auxquelles les sociétés sont confrontées ; montrer les capacités françaises en matière scientifique, technique et industrielle. La volonté de souligner le caractère innovant de la future institution conduit peu après à remplacer le terme de « Musée »...
  • CIVILISATION

    • Écrit par Jean CAZENEUVE
    • 7 138 mots
    • 1 média
    Ledéveloppement des techniques est aussi un fait aisément observable. Les préhistoriens ont d'ailleurs pris ce phénomène comme base de leurs classifications, non seulement parce qu'ils ne trouvent guère dans les vestiges exhumés d'autres signes distinctifs d'évolution, mais aussi parce que les formes...
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