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KUBRICK STANLEY (1928-1999)

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L'installation en Europe et l'épanouissement

<it>Lolita</it>, S. Kubrick - crédits : Seven Arts Production/ Sunset Boulevard/ Corbis/ Getty Images

Lolita, S. Kubrick

Comme pour retrouver les ambiguïtés qui lui sont chères en s'éloignant de Hollywood, le cinéaste entreprend en Grande-Bretagne une adaptation alors jugée audacieuse : celle de Lolita (le roman de Nabokov est encore plus ou moins interdit dans nombre d'États américains). Le film ne cherche pas à rivaliser avec le style (ni même avec les évocations) du romancier. À la peinture d'une Amérique à la fois puritaine et hypersexualisée, il substitue celle d'une frénésie énigmatique. Cette frénésie habite le personnage de Quilty : entre lui et Humbert-Humbert, le narrateur, Lolita est moins une héroïne provocante que l'enjeu d'un duel sans règle. On songe, devant ce film (dont Nabokov assura lui-même l'adaptation), au théâtre de l'absurde plus qu'à la description d'une fixation érotique. En outre, les interprètes, James Mason (Humbert-Humbert) et Peter Sellers (Quilty) qui, à cette occasion, échappe pour la première fois à une longue routine de comédie anglaise traditionnelle et prélude à ses meilleurs rôles, sont excellents.

C'est à cette époque que Kubrick décide d'installer à Londres son quartier général. Il met bientôt en scène son premier film ouvertement personnel, adaptation d'un roman sans intérêt dont il bouleverse et approfondit les données. De ce film, Dr. Strangelove (Docteur Folamour), le sous-titre (« Comment j'ai appris à ne plus m'en faire et à aimer la bombe ») donne le sujet et le ton. C'est une farce pacifiste située dans un avenir à peine lointain. Tandis que Russes et Américains, également ridicules, mènent le ballet habituel des chantages diplomatiques, un général fou et quelques comparses s'apprêtent à déclencher la guerre atomique à la première alerte : le général (un Yankee) est persuadé que les Russes ne cherchent qu'à capter la force sexuelle des mâles de la terre entière. De son fauteuil roulant, un ex-nazi, « récupéré » par les États-Unis, conduit leur politique étrangère à coup de vaticinations sur le « devenir de l'espèce », mais ne peut de temps à autre empêcher son seul bras valide de faire le salut hitlérien. La sottise intrinsèque de la course aux armements est rageusement dénoncée, ainsi que les contradictions de la technologie : d'insignifiants gadgets prennent une importance énorme, et la bombe nucléaire s'envole à la fin vers sa cible par suite d'une erreur. Tous les personnages portent des noms puérils (« Mandrake ») ou des sobriquets insultants (le général fou s'appelle « Jack l'Éventreur »). Sans remédier entièrement à la dispersion un peu gênante de l'action, Peter Sellers interprète trois rôles : l'inquiétant Dr. Strangelove, un officier de bonne volonté mais d'esprit assez lent, et enfin le président, une ganache surnommée « Muffley » (mot obscène). Le film connut un réel succès en Europe et même, dans une moindre mesure, aux États-Unis ; Kubrick a maintenant sa pleine autonomie créatrice. On observe, d'autre part, dans Dr. Strangelove, un travail de stylisation visuelle d'autant plus notable qu'il ne se réduit pas aux personnages (tous plus ou moins des pantins menés par ce pantin qu'est lui-même devenu l'ex-nazi) et qu'il s'applique à des décors abstraits (notamment une salle des cartes au grand quartier général de Washington). Ce même travail va se retrouver, amplifié et magnifié, dans 2001 : A Space Odyssey.

Il s'agit ici d'un sujet original concocté par Kubrick à partir d'un récit d'Arthur C.  Clarke, éminent astronome et connaisseur de l'astronautique, qui, selon un processus fréquent dans le monde anglo-saxon, ne dédaigne pas de rédiger des nouvelles de science-fiction. Il participera d'ailleurs étroitement à la conception[...]

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Pour citer cet article

Gérard LEGRAND. KUBRICK STANLEY (1928-1999) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 20/03/2024

Médias

<it>2001, l'Odyssée de l'espace</it>, S. Kubrick - crédits : Movie Poster Image Art/ Getty Images

2001, l'Odyssée de l'espace, S. Kubrick

<em>Spartacus</em>, S. Kubrick - crédits : Silver Screen Collection/ Hulton Archive/ Getty Images

Spartacus, S. Kubrick

<it>Lolita</it>, S. Kubrick - crédits : Seven Arts Production/ Sunset Boulevard/ Corbis/ Getty Images

Lolita, S. Kubrick

Autres références

  • 2001, L'ODYSSÉE DE L'ESPACE (S. Kubrick)

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    Le cinéma de science-fiction a beaucoup perdu de sa vigueur et de sa vitalité, lorsque Stanley Kubrick (1928-1999) se lance dans l'aventure de 2001 : a Space Odyssey, dont le succès va redonner au genre une nouvelle vie pour plusieurs décennies. Selon Jacques Goimard, il s'agit du « premier...

  • 2001, L'ODYSSÉE DE L'ESPACE, film de Stanley Kubrick

    • Écrit par
    • 1 186 mots
    • 1 média

    Dans les années 1960, marquées par la guerre froide, deux grands thèmes hantent le monde occidental : le risque d'une apocalypse nucléaire, objet d'innombrables films, et la conquête spatiale, sous la forme d'une compétition entre Russes et Américains – compétition à laquelle met fin l'alunissage, en...

  • EYES WIDE SHUT (S. Kubrick)

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    Chaque film de Stanley Kubrick, lorsqu'il est apparu pour la première fois sur les écrans, a déconcerté nombre de spectateurs et en particulier les critiques. Eyes Wide Shut (1999) n'a pas failli à la règle, d'autant qu'il s'est avéré impossible pour les commentateurs d'exprimer ce qu'ils pensaient...

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  • CINÉMA (Aspects généraux) - Les techniques du cinéma

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    ...mouvements, et enfin 900 effets spéciaux comportant des maquettes à échelles diverses. Il en est de même pour 2001, L'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick, où le système des « transparences » a été utilisé en priorité et où la qualité de la lumière – et si l'on peut dire sa philosophie – l'a...
  • CLARKE ARTHUR CHARLES (1917-2008)

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    Scénariste et auteur de 2001 l'Odyssée de l'espace, Arthur C. Clarke est le fils d'un agriculteur anglais. Né à Minehead (Somerset) le 16 décembre 1917, il est obligé d'interrompre ses études à dix-neuf ans pour entrer dans l'administration des finances. Mais il était devenu amateur de ...

  • FIGURE MODERNE DE SPARTACUS - (repères chronologiques)

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    1850 Première de la pièce Toussaint-Louverture. Lamartine y utilise le personnage emblématique de Spartacus pour incarner la révolte des esclaves noirs des Antilles.

    1916 Publication par les Allemands Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg d'un journal d'extrême gauche intitulé Spartakus...

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