Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

RESPONSABILITÉ

L'idée de responsabilité

Est-ce une forme d'ordre que défend le théoricien lorsqu'il met en avant le principe de responsabilité ? Dans ce cas, ne se rend-il pas complice de ceux à qui la morale sert de caution ? Voilà qui aiderait à comprendre, outre le sens des tentatives de « démystification » de la notion de responsabilité, les aspects multiples sous lesquels se présente la tentation de l'irresponsabilité.

L'irresponsabilité se découpe à l'horizon du champ dont les limites viennent d'être tracées. D'un côté, l'établissement d'une pseudo-responsabilité purement objective, s'appliquant du dehors, aliène l'individu-objet, le rendant inapte à l'exercice d'un authentique droit de réponse. De l'autre, l'exaltation d'une pseudo-responsabilité entièrement subjective, manifestant la liberté d'un vouloir qui se déploie dans le vide, proclame à la fois la toute-puissance et la solitude de l'Unique. N'y a-t-il pas quelque illogisme à introduire l'idée d'une responsabilité totale dans un univers métaphysiquement neutre et pour une conscience délivrée de l'obligatoire ? Comment puis-je être « intégralement responsable » si Dieu n'existe pas, si nulle autorité n'offre à mes yeux le prestige de la respectabilité, si tout pour moi revient « au même » ? Une fois démasqué le surmoi, que reste-t-il ? Le dédoublement réflexif ne suffit pas à provoquer l'apparition de deux personnes qui se feraient face et dialogueraient en moi. Comment concevoir une responsabilité du sujet pris dans son état de pure subjectivité ?

Pesée qu'exerce sur un être réduit à rien le groupe devenu tout ; élan sauvage d'un vouloir pour qui tout semble permis : voilà les deux figures théoriques extrêmes de l'irresponsabilité, en deçà et au-delà. Des deux pôles antithétiques mais complémentaires du champ, aucun ne peut être privilégié, aucun sacrifié. La destruction du pôle subjectif dégrade la situation en une forme de contrainte unilatérale. En l'absence du pôle objectif, on n'assiste plus qu'à l'envol d'un vouloir niant toute juridiction et dont le sujet se prend pour mesure de toutes choses. Le champ de l' éthique coïncide avec celui de la responsabilité. Il se borne à l'étroite marge qui sépare la violence du cynisme. À l'intérieur s'inscrit la possibilité d'un refus délibéré. Pour qui s'en tient au problématique pratique et refuse de tirer ses secours d'une postulation métaphysique, la question devient simplement celle de l'élection par le sujet de l'autorité qu'il accepte de tenir pour légitime et devant laquelle il consent à se faire responsable.

On voit ce que signifie la défense du principe de responsabilité. Sans preuve de l'existence d'une responsabilité réelle inscrite dans l'être du sujet, on ne peut que reconnaître le caractère idéel de la notion. La responsabilité n'est pas un fait, mais une idée. Ne se fonde-t-elle pas sur un postulat : celui de l'identité personnelle du sujet proclamé « responsable » ? La responsabilité pénale enchaîne l'accusé d'aujourd'hui au coupable d'hier. À l'encontre du poète, l'homme de l'éthique affirme : « Je est le même. » Car l'éthique requiert cette permanence substantielle, cette continuité du sujet dans le temps qu'exprime le pronom personnel.

Posant le sujet et le liant à lui-même, la responsabilité introduit le sérieux dans l'existence. L'irresponsable se délie de l'obligation. Défection du sujet, annulation de l'acte : sans sujet, pas de verbe. À ce désert que crée la désertion s'oppose la présence du responsable. Répondre, c'est se porter garant (re-spondere[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : agrégé de philosophie, docteur ès lettres, professeur à l'université de Rouen

Classification

Autres références

  • ADOLESCENCE

    • Écrit par et
    • 2 667 mots
    • 1 média
    ...jeux). Mais si un grand nombre d'adolescents des pays riches ont des plaisirs matériels et des sources de distraction quasi illimités, ils ont très peu de responsabilité significative, contrairement à leurs pairs des générations précédentes ou plus encore aux jeunes des pays pauvres précipités dès la fin...
  • AGNOTOLOGIE

    • Écrit par
    • 4 992 mots
    • 2 médias
    ...de l’action, ce que certains préféreraient éviter, et pose la question classique de l’attribution, toujours épineuse lorsque l’on cherche à établir des responsabilités. D’où la tentation d’isoler des critères de processus agnotologiques qui n’impliquent pas directement l’établissement d’intentions. Par...
  • ENFANCE (Situation contemporaine) - Le droit de l'enfant

    • Écrit par
    • 9 311 mots
    Un troisième débat agite enfin nos politiques, principalement depuis les émeutes de l'automne 2005, celui de la responsabilité des parents d'enfants délinquants. Dans un premier temps, le gouvernement s'en était tenu à l'opinion des juristes attachés à éviter une responsabilité pénale du fait...
  • ENGAGEMENT

    • Écrit par , et
    • 11 615 mots
    • 1 média
    L'implication est évidemment liée à la responsabilité. Celui qui s'engage reprend à son compte un cours d'action qui s'était jusque-là déroulé sans lui et atteste qu'il se considère responsable de ce qui se passe. Par l'attitude qu'il prend, il le devient d'ailleurs effectivement et objectivement. Être...
  • Afficher les 19 références