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PRESSE La presse et ses lecteurs

L'influence de la presse sur ses lecteurs

La question de l'influence de la presse est très ancienne. Sous l'Ancien Régime, le pouvoir royal craint que les journaux, comme les autres formes d'imprimés, ne soient un outil de subversion politique, voire d'incitation à la rébellion. Au xixe siècle, les gouvernements, très réticents à appliquer effectivement le principe de liberté de la presse, ne voient pas les choses très différemment. Au xxe siècle, les médias sont souvent perçus comme un instrument de « conditionnement », en raison de leur utilisation par les régimes totalitaires. Par ailleurs, une influence néfaste sur les mœurs est prêtée à la presse (populaire) depuis au moins la fin du xixe siècle. Des intellectuels expliquent à cette époque que les journaux contribuent au développement des pathologies sociales : les lecteurs seraient tentés d'imiter les crimes et les suicides relatés dans certains journaux populaires.

Dans son étude sur l'accroissement du nombre des suicides, Émile Durkheim initie une critique sociologique de cette vision des choses. Pour lui, la presse ne favorise guère le suicide que chez des personnes déjà prédisposées à passer à l'acte. Une thèse assez convergente est développée par la sociologie américaine des années 1940 aux années 1960, en particulier par Paul Lazarsfeld, Elihu Katz et Robert Merton : les médias n'exerceraient que des « effets limités », en particulier sur les comportements électoraux. En effet, si la presse peut céder à la propagande, son action tend à être réduite par d'autres institutions sociales (notamment, la famille, les Églises, l'école, etc.). Les électeurs se fient moins aux journaux qu'aux « leaders d'opinion » qui sont dans leur entourage. Ces derniers sont les plus exposés à l'influence des journaux politiques parce qu'ils les lisent. Mais, se caractérisant de façon générale par une forte participation politique et lisant souvent plusieurs journaux à la fois, ils ne sont pas les plus désarmés pour résister aux entreprises de propagande.

Richard Hoggart apporte une contribution importante en 1957. Pour lui, la réception que les milieux populaires réservent à la littérature et à la presse doit être rapportée à une caractéristique essentielle des milieux populaires : la barrière symbolique que la solidarité au sein de ces milieux érige entre le monde du foyer et du voisinage et le monde des « autres », celui des patrons et des classes moyennes qui détiennent le pouvoir. La presse ainsi que la littérature tendent alors à être perçues comme des productions venues du monde des autres. Les lecteurs populaires n'y adhèrent pas naïvement. Ils portent sur elles un « regard oblique », une attitude distanciée, un peu narquoise. Ils y prennent simplement « le divertissement qu'ils recherchent et n'y prennent que cela ». Ils ne confondent pas le monde des magazines, construit pour eux à des fins essentiellement commerciales, et la vie réelle.

En montrant que chaque journal tend à recruter son lectorat dans des régions particulières de l'espace social, Pierre Bourdieu, lui, soulignait que lorsque les journaux ont une orientation politique, elle est en affinité avec les caractéristiques sociales dominantes de leur lectorat. Les quotidiens marqués à « gauche », par exemple, recrutent principalement leur lectorat dans les catégories qui, mieux dotées en capital culturel qu'en capital économique, sont, par leur position, attirées par la « gauche ». Dans ces conditions, les journaux tendent surtout à renforcer chez leurs lecteurs des dispositions politiques préexistantes.

Avec le développement des médias audiovisuels, les travaux sur la réception de la presse ont eu tendance à céder le pas à des recherches portant sur la télévision. Ces dernières, cependant,[...]

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Pour citer cet article

Julien DUVAL. PRESSE - La presse et ses lecteurs [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • LE SIÈCLE DE LA PRESSE 1830-1939 (C. Charle)

    • Écrit par Éric PHÉLIPPEAU
    • 1 084 mots

    L'histoire retracée par Le Siècle de la presse 1830-1939 (Seuil, Paris, 2004) a la couleur d'une synthèse érudite. Et ce n'est pas là le moindre de ses mérites. Christophe Charle ne s'était pas encore signalé comme spécialiste de l'histoire de la presse française. Mais comment ses précédents...

  • 1848 ET L'ART (expositions)

    • Écrit par Jean-François POIRIER
    • 1 189 mots

    Deux expositions qui se sont déroulées respectivement à Paris du 24 février au 31 mai 1998 au musée d'Orsay, 1848, La République et l'art vivant, et du 4 février au 30 mars 1998 à l'Assemblée nationale, Les Révolutions de 1848, l'Europe des images ont proposé une...

  • AGENCE FRANCE-PRESSE (AFP)

    • Écrit par Universalis, Christine LETEINTURIER
    • 600 mots

    L'Agence France-Presse est la première agence de presse généraliste francophone et la troisième du monde, derrière, Associated Press et Reuters. Héritière de l'Agence Havas fondée en 1932, elle est créée, à titre provisoire, par une ordonnance du 30 septembre 1944 et dotée d'un statut spécial définitif...

  • AGENDA POLITIQUE, sociologie

    • Écrit par Nicolas HUBÉ
    • 548 mots

    La «  mise à l’agenda » concerne la question des « effets » des médias sur le débat public et sur les électeurs, et en particulier lors des moments de « surchauffe symbolique » que sont les élections. Maxwell McCombs et Donald Shaw ont formulé en 1972 le principe suivant : il se peut que la presse...

  • ALGÉRIE

    • Écrit par Charles-Robert AGERON, Universalis, Sid-Ahmed SOUIAH, Benjamin STORA, Pierre VERMEREN
    • 41 835 mots
    • 25 médias
    ...l’étranger, Berbère Télévision (Paris) ou Al Magharibia (Londres), une chaîne islamiste lancée par le fils d’Abassi Madani, qui vit au Qatar. Le pays dispose de titres de presse nombreux, peu onéreux et donc encore assez lus. Les Algériens achetaient souvent trois ou quatre journaux par jour au début de la décennie...
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