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ROTH PHILIP (1933-2018)

Philip Roth - crédits : Bob Peterson/ The LIFE Images Collection/ Getty Images

Philip Roth

En 1969, Philip Roth se voit propulsé sur le devant de la scène internationale par un livre « scandaleux » : Portnoy et son complexe (Portnoy's Complaint, soit littéralement la « plainte » ou la « complainte » du dénommé Alexandre Portnoy). Le romancier a alors trente-six ans. Il lui faudra désormais composer avec cette gloire soudaine. Il n'y parviendra qu'en multipliant à l'envi les dédoublements, les travestissements, et en transformant chaque roman en un vertigineux jeu de masques dont la virtuosité va peu à peu s'infléchir vers une tonalité plus grave.

Une scène primitive

Philip Roth est né le 19 mars 1933 à Newark, une ville industrielle du xixe siècle située dans la grande banlieue de New York, mais de l'autre côté de l'Hudson, là où commence un autre monde. La génération de ses grands-parents a fait partie de la vague d'immigration juive venue de Galicie vers 1900. Là, dans le « Vieux Pays », son grand-père se destinait au rabbinat ; une fois en Amérique, il devient ouvrier dans une fabrique de chapeaux. Son père, Herman Roth, est courtier en assurances, puis responsable d'une agence. Philip Roth a un « grand frère », Sandy (né en 1927), qui deviendra chirurgien à Chicago. Il grandit sous F. D. Roosevelt, connaît une enfance heureuse, patriote et démocrate, dans l'enclos du quartier de Weequahik. Un temps, il songe à devenir avocat, puis fait des études de lettres. En 1955, il part enseigner la littérature à Chicago – où il rencontre puis épouse une femme « ensorcelante », un peu plus âgée que lui, divorcée, mère de deux enfants, d'un milieu ouvrier du Michigan. C'est le début d'une longue saga « conjugale » en plusieurs épisodes dont les romans se feront plus que l'écho.

Philip Roth a lu Thomas Wolfe. Comme cet affamé d'Amérique, il veut échapper au petit monde provincial et familial où il a vécu jusqu'alors, et trouver son propre chemin dans le vaste monde. En 1959, il publie un recueil de nouvelles, Goodbye Columbus, qui fait scandale, du moins dans les milieux juifs bien-pensants, dont il devient l'ennemi public numéro un. Philip Roth est déjà le voyou qui a trahi sa famille. Mais si c'est le cas, cela ne va pas sans tourment pour lui. Le tiraillement entre pulsion et interdit, transgression et culpabilité, restera le centre de l'œuvre – tout comme la dialectique entre libération et trahison.

Dix ans plus tard – parenthèse pendant laquelle, après son précoce premier début, Roth est retourné faire ses classes d'écriture à l'école de Henry James – Portnoy's Complaint devient une sorte de totem pour les tumultueuses années 1960, qu'il vient clore en une burlesque apothéose. Sur le divan de son psychanalyste, Alexandre Portnoy dévide le long monologue de ses griefs et de ses traumatismes. Il passe en revue son papa, sa maman, sa grande sœur, son enfance – si choyée qu'il n'en est pas rescapé. Il monte un vaudeville freudien : le complexe d'Œdipe sous forme de bande dessinée, y compris des « bulles », où le narrateur contrefait les voix aussi bien que son maître, Lenny Bruce. Dans une dérisoire tentative de libération, le « phallus » est devenu Guignol – marionnette d'un « ça » anarchique surgissant pour « jouir sans entraves », malmener la « police des familles » et éclabousser les murs de slogans. Portnoy's Complaint est, à l'époque, le roman américain le plus désopilant qu'on ait lu depuis Huckleberry Finn de Mark Twain.

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Écrit par

  • : professeur de littérature américaine à l'université de Paris IV-Sorbonne et à l'École normale supérieure

Classification

Pour citer cet article

Pierre-Yves PÉTILLON. ROTH PHILIP (1933-2018) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Philip Roth - crédits : Bob Peterson/ The LIFE Images Collection/ Getty Images

Philip Roth

Autres références

  • LA CONTREVIE, Philip Roth - Fiche de lecture

    • Écrit par Pierre-Yves PÉTILLON
    • 1 254 mots
    • 1 média

    Dans le Portnoy et son complexe (1969), confession parodique, vaudeville œdipien, Philip Roth, dans le sillage du comédien Lenny Bruce, prince du monologue, avait poussé le one-man-show jusqu'à une limite difficile à dépasser. L'époque était à l'exorbitant et à l'hyperbolique. Dans les rues de New York,...

  • POURQUOI ÉCRIRE ? (P. Roth) - Fiche de lecture

    • Écrit par Liliane KERJAN
    • 1 105 mots

    Conçu par Philip Roth à la manière d’un testament littéraire et publié en 2017 aux États-Unis, Pourquoi écrire? (trad. de L. Bitoun, M. et P. Jaworski et J. Kamoun, Folio, Gallimard, 2019) rassemble ses analyses et confidences d’écrivain, débarrassées « des déguisements et des inventions...

  • LE RABAISSEMENT (P. Roth) - Fiche de lecture

    • Écrit par Liliane KERJAN
    • 977 mots

    À l'ouverture du roman de Philip Roth, Le Rabaissement (trad. M. C. Pasquier, Gallimard, 2011), la magie s'est éteinte et le déclin s'installe : comédien de grand renom, Simon Axler est en panne de jeu. Non qu'il ne soit plus sollicité – on le presse d'accepter le rôle tourmenté de Tyrone dans...

  • LA TACHE (P. Roth) - Fiche de lecture

    • Écrit par André BLEIKASTEN
    • 962 mots
    • 1 média

    Publié aux États-Unis en 2000, La Tache est le dernier volet de la trilogie « américaine » commencée par Philip Roth en 1997. Le premier, Pastorale américaine, évoquait les années 1960, la guerre au Vietnam, la contestation parfois violente d'une jeunesse rebelle. Puis, en 1999, ce fut ...

  • LE THÉÂTRE DE SABBATH (P. Roth)

    • Écrit par André BLEIKASTEN
    • 1 273 mots

    De L'Écrivain des ombres (1979) à La Contrevie (1987), Philip Roth s'était mis en scène sous le masque tour à tour bouffon et pathétique de l'écrivain Nathan Zuckerman. Sans renoncer tout à fait aux équivoques de la fiction, il avait ensuite écrit trois textes d'inspiration plus ouvertement autobiographique...

  • SHOAH LITTÉRATURE DE LA

    • Écrit par Rachel ERTEL
    • 12 469 mots
    • 15 médias
    Eli the Fanatic (1959) inaugure chez Philip Roth toute sa galerie de doubles. Doubles lieux : Woodenton, banlieue aseptisée de New York, et la maison d'étude (yeshiva) plongée dans les ténèbres que les réfugiés ont apportées avec eux de l'Europe dévastée ; double également l'homme pieux (...

Voir aussi