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PATRIMOINE MONUMENTAL

Il y a eu en 1975 une « année européenne » du patrimoine. Des manifestations assez modestement conçues et des colloques de caractère officiel à Paris, à La Haye, n'ont causé aucune surprise ni enseigné grand-chose. On pouvait avoir l'impression qu'il s'agissait surtout pour les services du type «  Monuments historiques » dans les divers pays de se donner bonne conscience en rappelant l'écart entre les besoins et les moyens. Ces réflexions auraient eu davantage de portée si elles avaient comporté un approfondissement de la notion même de patrimoine et l'analyse des nouvelles implications qui l'ont fait évoluer sur toute la planète et, qu'on en ait conscience ou non, dans tous les esprits. On a cru pouvoir y suppléer par des considérations sur le « futur du passé », mais elles n'ont constitué, malgré l'apparence, qu'une refonte teintée de « prospective » de vieilles préoccupations d'ailleurs toujours valables dans leur ensemble. Une « année nationale » sur le même thème, décrétée en 1980, n'a pas apporté une prise de conscience plus sérieuse, en dépit des réunions et des manifestations de routine. Le ministère de la Culture créa une direction du Patrimoine, regroupant le service des Monuments historiques, la direction de l'Archéologie et des fouilles, et le service de l'Inventaire général, dont l'autonomie scientifique, si efficace, s'est trouvée, ainsi peut-être, dangereusement soumise à l'administration. Le même service de l'Inventaire général tint à Bischenberg-Strasbourg en octobre 1980 des assises européennes qui permirent une confrontation originale et opportune des méthodes d'inventorisation dans tous les pays à riche héritage monumental.

Les composantes d'une notion

L'aspect juridique et social

L'aspect juridique de la notion de patrimoine n'est certes pas négligeable. Le patrimoine est lié à l'héritage qui est, si l'on peut dire, l'instrument légal, institutionnel, ou mieux le véhicule social des données en question : biens, terres, constructions, objets. Mais les espèces patrimoniales sont moins une propriété, comme on tend trop vite à le croire, qu'une possession, et une possession qui par définition précède et suit le détenteur actuel. D'où la possibilité de reports de l'individuel au familial (intervention du droit d'aînesse, actions de sauvetage...), du familial au national (mesures de protection au titre des monuments « classés », interdiction d'exporter...), du national à l'international (quand l'U.N.E.S.C.O. intervient pour « aider » Venise ou « énucléer » tel temple égyptien...). On aperçoit vite que la notion est maintenant élastique et facile à déplacer, sans devenir vague pour autant.

Tout compte fait, on devrait arriver à une définition qui, en associant une certaine valeur de caractère traditionnel à son objet, invite à appréhender le patrimoine comme une catégorie de l'existant dépassant l'usage présent. Et au cœur de cette catégorie apparaît la notion anthropologique de sacrifice. Au double sens du terme : d'abord ce dont la préservation suppose un effort, une dépense, une perte plus ou moins sensible mais consentie comme nécessaire. En ce sens, les renoncements à la mode, les dépenses souvent importantes, la mobilisation des personnes, etc., qu'occasionne le « patrimoine » signifient pour nos civilisations l'équivalent des renoncements, holocaustes propitiatoires, mort ou mutilation destinés à « sauver » moralement ou matériellement un objet essentiel, phénomènes qui existent partout. Car il s'agit de ce qui n'est jamais condamné à périr sans entraîner un sentiment d'accablement ou de déréliction. Le patrimoine est ce dont la préservation demande des sacrifices, ce dont la perte signifie un sacrifice. La jurisprudence[...]

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Écrit par

  • : membre de l'Institut, professeur au Collège de France

Classification

Pour citer cet article

André CHASTEL. PATRIMOINE MONUMENTAL [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Cathédrale de Reims, le chevet - crédits : Bridgeman Images

Cathédrale de Reims, le chevet

Dubrovnik (Croatie) - crédits : Alan Klehr/ Getty Images

Dubrovnik (Croatie)

Autres références

  • ARCHITECTURE COLONIALE ET PATRIMOINE (dir. M. Pabois et B. Toulier)

    • Écrit par Simon TEXIER
    • 948 mots

    La publication des actes de la table ronde organisée, en septembre 2003, par l'Institut national du patrimoine à Paris sur le thème de l'architecture coloniale et du patrimoine (I. L'Expérience française, I.N.P.-Somogy, Paris, 2005, suivi de II. Architecture et patrimoine coloniaux...

  • ARCHITECTURE CONTEMPORAINE - Une architecture plurielle

    • Écrit par Joseph ABRAM, Kenneth FRAMPTON, Jacques SAUTEREAU
    • 11 661 mots
    • 17 médias
    Qui oserait placer sur un même plan la sauvegarde d'un palaisRenaissance et celle d'un immeuble des années 1960 ? Et pourtant, c'est ce que devrait autoriser une conception rigoureuse du patrimoine. André Chastel observait, il y a vingt-cinq ans, l'évolution spectaculaire de la notion...
  • AUTRICHE

    • Écrit par Roger BAUER, Jean BÉRENGER, Annie DELOBEZ, Universalis, Christophe GAUCHON, Félix KREISSLER, Paul PASTEUR
    • 34 125 mots
    • 21 médias
    Cette activité touristique s'ancre dans une politique active deprotection des patrimoines : ainsi, plus de 150 000 monuments sont protégés dans l'ensemble du pays, et pour les deux tiers d'entre eux, il s'agit de bâtiments d'habitation soit urbains, soit ruraux. L'Autriche s'est aussi dotée de sept...
  • BISSON LOUIS AUGUSTE (1814-1876) et AUGUSTE ROSALIE (1826-1900)

    • Écrit par Gilles PLAZY
    • 954 mots

    Louis Auguste Bisson réagit très rapidement quand il prend connaissance de l'invention du daguerréotype (1838). Jeune architecte au service municipal de Paris, très intéressé par la chimie, il se tourne aussitôt vers la photographie. Daguerre l'aurait peut-être formé lui-même. Son père, Louis...

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Voir aussi